Si la pauvreté n'a pas "explosé" au cours de la dernière décennie en France, elle n'a pas pour autant reculé et l'Observatoire des inégalités s'inquiète jeudi dans un rapport de pauvres toujours plus jeunes ou élevant seuls leurs enfants. Ce travail indépendant, premier du genre, qui compile et analyse les données officielles disponibles sur la pauvreté, veut dresser un "état des lieux" et "donner des visages aux personnes concernées".
"Une augmentation significative". Entre 2006 et 2016, le nombre de personnes pauvres vivant sous un seuil établi à 50% du revenu médian (855 euros par mois pour une personne seule) est passé de 4,4 à 5 millions, a indiqué lors d'une conférence de presse Anne Brunner, cheffe de projet de ce rapport rendu public jeudi. "Ce n'est pas une explosion de la misère mais tout de même une augmentation significative, et un retournement de la tendance des dernières décennies qui allait vers une réduction des inégalités", a-t-elle analysé.
Le chômage trop élevé en partie en cause. Cette évolution est principalement due à des facteurs démographiques, en particulier la progression du nombre de familles monoparentales aux faibles revenus, à la croissance qui demeure faible et à un niveau de chômage élevé, est-il expliqué dans le rapport. Ainsi, 25% des pauvres vivent dans une famille monoparentale, 67% ont au plus un CAP, la même proportion vit dans les grandes villes ou en périphérie, et 65% ont moins de 20 ans. "Les enfants, les adolescents et les jeunes adultes, souvent en difficulté d'insertion sur le marché du travail sont les premiers concernés", selon l'Observatoire.
Enfants et familles monoparentales en première ligne. En 2015, 1,7 million d'enfants vivaient dans un ménage en difficulté, dont certains "à la rue, dans des hôtels peu confortables, ou des logements de fortune", écrivent les auteurs, se basant sur le chiffre Insee de 30.000 enfants vivant avec un parent sans domicile et recourant aux services d'hébergement d'urgence. Les familles monoparentales, majoritairement des femmes, ont également été "fortement impactées" par la pauvreté ces dernières années. Elles représentent près "d'un quart de la population pauvre", une proportion très supérieure à la part de ces familles dans la population, et 19% vivent sous le seuil de pauvreté, a poursuivi Anne Brunner.
Une pauvreté moins grande que dans les autres pays européens. Pour Louis Maurin, directeur de l'Observatoire des inégalités, le plan pauvreté présenté mi-septembre par Emmanuel Macron fait "peu pour aider ces familles" et, de plus, "fait semblant d'agir à la racine en voulant donner la priorité aux enfants". "Il faut agir pour les enfants mais la racine de la pauvreté c'est la précarité de leurs parents, les bas salaires, le chômage", a-t-il taclé.
Malgré tout, la France est l'un des pays d'Europe qui a le plus bas taux de grande pauvreté (situé à moins de 40% du niveau de vie médian, soit 684 euros mensuels) : 3,1% de la population contre une moyenne européenne de 6,4%. "Si notre modèle social ne réussit pas à protéger une part importante de nos concitoyens du manque ou de la précarité, elle contient tout du moins la grande misère mieux qu'ailleurs", souligne Anne Brunner.