Il y aura, selon l'ONU, 250 millions de réfugiés climatiques en 2050, si rien n'est fait. Il s'agit de l'un des enjeux majeurs de la 21e conférence mondiale sur le climat (COP21), qui s'est ouverte lundi à Paris. Les 195 participants se réunissent pour trouver un moyen d'enrayer les dérèglements environnementaux. Mais ils devront aussi trancher une question déjà bien d'actualité : comment venir en aide aux millions de personnes déplacées chaque année à cause de catastrophes naturelles ?
Aujourd'hui, contrairement aux réfugiés politiques par exemple, ces déplacés climatiques n'ont pas de statut officiel, ce qui rend difficile leur prise en charge. La COP21 permettra-t-elle de créer un nouveau statut de droit international ? Rien n'est moins sûr…
19 millions de déplacés en 2014. "Au cours des sept dernières années, chaque seconde environ, une personne a été déplacée par une catastrophe liée aux risques naturels", écrivait en juillet dernier l'Observatoire des situations de déplacement interne (IDMC), une ONG basée en Norvège qui tente de tenir les comptes des migrations humaines chaque année. Selon elle, en 2014, 19,3 millions de personnes dans le monde ont dû quitter leur domicile à cause de dérèglements climatiques. Et il y en a eu 83,65 millions entre 2011 et l'an dernier. Les inondations (55%), les tempêtes (29%) et les séismes (14) sont, aujourd'hui, les principales causes de déplacements liés à l'environnement. En 2014, le typhon Rammasum a ainsi déplacé 628.000 personnes en Chine et 2,99 millions aux Philippines à lui tout seul.
Tout le monde est concerné. L’Asie a représenté 87% du total des réfugiés climatiques en 2014, suivi des Amériques (10%) et de l'Afrique (9%). Si l'Europe reste globalement moins touchée, le phénomène est en hausse constante. "En 2014, l'Europe a connu le double de son niveau moyen de déplacement des sept dernières années. 190.000 personnes ont été déplacées à cause des inondations catastrophiques dans les Balkans", détaille l'IDMC.
Et le pire reste à venir pour le Vieux continent : d'ici la fin du siècle, un néerlandais sur deux risque de subir l'impact de la montée des eaux, tout comme l'intégralité de la ville de Venise, selon une étude de l'organisation Climate Central, citée par le New York Times. Quant à l'Espagne, elle connaît déjà depuis quelques années des mouvements de déplacement interne à cause de la sècheresse dans le sud. "Les experts s'accordent à dire qu'elles sont une conséquence directe du réchauffement climatique. Ce sont des déplacés environnementaux", explique à FranceTV François Gemenne, chercheur à Sciences Po et spécialiste des questions migratoires.
De la difficulté de les accueillir. Pour l'heure, ces déplacements restent très majoritairement internes aux pays concernés. Mais les ONG, appuyées par l'ONU, alertent sur un éclatement imminent des frontières. Or, les réfugiés climatiques sont pour l'heure démunis de droits internationaux, contrairement à ceux qui fuient la guerre ou la dictature qui bénéficient d'un droit d'asile et de nombreuses aides dans beaucoup de pays.
Le réfugié climatique "échappe à une définition unique pour les Nations Unies, ce qui prive ces migrants d’une protection en vertu du droit international. Car il est difficile de séparer le facteur climat (des autres facteurs de migration) et il est tout aussi difficile de reconnaître une responsabilité politique des Etats lors d’une catastrophe environnementale", décrypte sur LCP Eleonora Guadagno, docteure en géographie sociale et politique. "Sans véritable statut juridique, d’aucuns classent les migrants du climat dans le registre des oubliés du Droit international", résume encore le site d'information spécialisé MédiaTerre.
De la difficulté de leur venir en aide. Difficile, donc, sans statut international, de fournir l'asile à ces déplacés du climat. Difficile, également, de leur affecter une aide financière. Les réfugiés climatiques ne peuvent pas, pour l’heure, compter sur le Haut commissariat aux réfugiés (HCR), qui dépend des Nations Unies. Ce dernier dispose d'un budget de plus 5 milliards de dollars annuel pour accompagner les réfugiés dans le monde et aider les pays hôtes à les accueillir. Mais faute de statut, les exilés climatiques ne font pas encore partie de ses prérogatives.
Un exemple, en Nouvelle Zélande. Au moins un homme, à ce jour, a tenté de devenir le premier réfugié climatique du monde. Un habitant de l'île de Kiribati, en Océanie, dans le Pacifique, avait fui la montée des eaux salées sur les terres, en 2007. Confronté à une pénurie en eau potable et des difficultés pour cultiver, il avait rejoint la Nouvelle Zélande la même année. En 2010, il a saisi la justice pour tenter d'obtenir le statut de réfugié, peu après l'arrivée à terme de son visa.
Mais le 20 juillet dernier, après un long parcours judiciaire, la Cour suprême néo-zélandaise, première juridiction du pays, a fini par lui refuser définitivement le statut, entérinant ainsi son expulsion. La Cour "a statué que le requérant ne répondait pas aux critères d’octroi du statut de réfugié, lequel doit être menacé de persécution dans son pays natal, selon l’ONU", pouvait-on lire à l'époque sur le site du journal La Croix.
Où en sont les débats ? Ce statut de réfugié climatique, pourtant, n'est pas encore près de voir le jour. Et pour cause : il ne fait pas encore l'unanimité. Pour l'heure, il est davantage réclamé par les ONG ( Amis de la Terre, Greenpeace, le WWF etc.) que par les Etats eux-mêmes. Les pays qui défendent une meilleure protection mondiale pour ce type de réfugiés sont regroupés au sein du mouvement "The Nansen initiative". Ils sont neuf : la Suisse, la Norvège, l'Australie, le Bangladesh, le Costa Rica, l'Allemagne, le Kenya, le Mexique et les Philippines.
La plupart des autres pays, dont la France, refuse une modification des conventions internationales. La France, pour sa part, milite pour le cas par cas : "elle estime que ce type de migration ne rentre pas dans le périmètre du droit des réfugiés. Elle prône une approche pragmatique, adaptée à chaque type de situation" et "aux spécificités de chaque région", peut-on lire sur le site de la Représentation permanente de la France à l'ONU. Et pour cause : selon Paris, il n'existe pas aujourd'hui de statistiques assez fiables pour faire la différence entre un réfugié climatique et un autre.
Rien à attendre de la COP ? Lors de la COP21, la question sera d'ailleurs évoquée par-ci par-là au sein de quelques réunions, (notamment mercredi, lors d'un atelier en marge animé par le mouvement Nansen en présence de représentants des gouvernements). Mais il ne fait pas partie des priorités. "Cette question n’est pas formellement du ressort de la" COP, faisait savoir l'an dernier un diplomate aux manettes de l'organisation de la COP, cité par La Croix. Et ce même diplomate de conclure : "nous devons nous concentrer sur l’essentiel : réussir à maîtriser le changement climatique et mettre en place des stratégies d’adaptation. Justement pour éviter d’en arriver à ces déplacements de population !"