Ils sont accusés d'être devenus des "labels" aux "effets pervers". Les "Réseaux d'éducations prioritaires" (REP et REP +), qui ont succédé aux "Zones d'éducation prioritaire" (ZEP) créées en 1981, sont vivement pointés du doigt mardi, dans le dernier rapport du Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco). Premier constat : les élèves qui y sont scolarisés (20% aujourd'hui, contre moins de 10% en 1982) sont davantage en difficulté que les autres. Pour l'apprentissage des langues, par exemple, 27,4% des élèves de ces "zones" sont "en grande difficulté", contre 14,9% hors de l'éducation prioritaire. Quant aux mathématiques, les inégalités entre les élèves des meilleurs établissements et ceux des établissements les plus en difficulté sont les plus élevés de tous les pays de l'OCDE.
>> Faut-il donc cesser les dispositifs d'éducation prioritaire ? Eléments de réponse.
Un établissement en Rep, ça change quoi ? Les dispositifs d'éducation prioritaires concernent les établissements, du secondaire ou du primaire, concentrant un fort taux d'élèves en difficulté et issus d'un milieu social dit "défavorisé". C'est le ministère de l'Education nationale qui décide d'inscrire l'établissement dans un dispositif (la carte actuelle peut être retrouvée ici). Les classes y sont plus petites, pour permettre aux enseignants de se concentrer davantage sur chaque élève. Les enseignants disposent de davantage de fonds, pour améliorer le fonctionnement, financer des sorties scolaires, embaucher davantage de personnel hors enseignant etc.
Trop d'élèves, pas assez de cours. Mais selon le Cnesco, l'éducation prioritaire contribue au contraire au développement d'une "discrimination négative". Et les chiffres révélés par le rapport sont édifiants.
Premier constat : les établissements ne parviennent pas à suffisamment baisser le nombre d'élèves par classe. En 2015, du CP au CM2, l’effectif moyen dans les classes d’éducation prioritaire était de 22,7 élèves, soit seulement 1,4 élève de moins que dans les écoles hors éducation prioritaire. En 2015 toujours, au collège, l’effectif moyen d’une structure était de 21,7 en éducation prioritaire, soit 2,5 élèves de moins que dans les collèges hors éducation prioritaire. Ce chiffre est "trop faible pour avoir un impact pédagogique positif véritable", dénonce le Cnesco, qui ne donne pas de chiffres mais renvoie à des études récentes sur la question. L'une d'entre elle, parue en 2014 dans la revue Education et Formations, incitait à enlever encore cinq élèves supplémentaires dans ces classes "prioritaires".
Second constat : le temps de cours est moins élevé dans les établissements "prioritaires" que dans les autres. Et pour cause : les professeurs emploient davantage de temps à essayer de faire régner la discipline dans les classes. "Les enseignants d’éducation prioritaire estiment consacrer au collège 21 % du temps de classe à l’instauration et au maintien d’un climat de classe favorable (contre 16 % hors éducation prioritaire et 12 % dans le privé). Cela représente une diminution du temps effectif accordé aux apprentissages des élèves", écrit le rapport.
Pas assez d'enseignants expérimentés, une méthodologie moins efficace. Le diagnostic ne s'arrête pas là. Selon le Cnesco, les classes "éducation prioritaire" n'attirent que des jeunes enseignants, les plus expérimentés (et donc, les plus demandés) boycottant le plus souvent ces "réseaux". "Dans le second degré, la part de jeunes enseignants (moins de 30 ans) est deux fois plus importante en éducation prioritaire (17 % contre 9 % hors éducation prioritaire, en 2011). Or, la recherche a montré que le sentiment d’efficacité d’un enseignant est nettement plus faible lorsqu’il a moins de 5 ans d’expérience. Sans préjuger des compétences et de la motivation de ces enseignants, les affecter sans expérience dans des établissements difficiles pourrait les mettre en situation d’échec", peut-on lire dans le rapport.
Moins de professeurs expérimentés, moins de temps de cours, trop d'élèves dans la classe… Tous ces éléments ont une conséquence logique : les élèves n'ont pas accès à la même méthodologie. Les élèves de milieu défavorisés, par exemple, "sont moins exposés à l'enseignements des mathématiques formelles", une méthode d'apprentissage jugée plus efficace. Sur l'ensemble des pays de l'OCDE, la France est avant-dernière, juste devant l'Autriche, dans l'apprentissage de cette méthode aux élèves des zones "prioritaires".
Que faire à la place ? Des chiffres sur la politique d'éducation prioritaire, le rapport en contient encore pléthore. "Dès sa conception, les auteurs de cette politique alertaient sur la nécessité qu’elle ne soit que temporaire", rappelle le Cnesco. Selon les sociologues auteurs du rapport, ces "zones", du fait de leurs échecs, sont devenues des "labels" qui font "fuir les familles les plus favorisées" et accroissent la "ségrégation sociale". Mais faut-il pour autant les supprimer ? A long terme, oui, suggère l'étude. Mais elles restent "nécessaires à court terme", reconnaissent-ils, face au manque d'alternatives possibles à mettre en place dans l'immédiat. C'est pourquoi le Cnesco propose un certain nombre de mesures pour rendre ces établissements plus attractifs, pour les enseignants et les familles les plus favorisées tentées par le privé; et pour les faire sortir d'eux-mêmes du dispositif "Rep" ou "Rep +".
Première piste : mieux accompagner les "acteurs de terrain" (enseignants, chefs d’établissements, inspecteurs, conseillers pédagogiques), en créant une formation continue qui permettrait aux débutants de se faire plus d'expérience avant de se jeter dans le bain, en "sédentarisant" les professeurs dans les écoles ou en mettant à disposition des outils pour qu'ils puissent s'évaluer eux-mêmes tout au long de l'année. Le rapport propose également de former des "conseillers pédagogiques en mathématiques", "spécialement formés en didactique des mathématiques pour servir de référents aux enseignants".
Le rapport incite, enfin, à "réduire significativement la ségrégation sociale et scolaire", en dressant notamment une liste des 100 établissements où les élèves sont issus le plus de milieux défavorisés, pour y "renforcer la mixité"; ou encore en introduisant "un volet mixité sociale lors de la création de chaque nouvel établissement".