Suis-je épanoui dans mon travail ? La question vous a sans doute traversé l'esprit au moins une fois. Si l'origine même du mot peut légitimement laisser place au doute (travail vient du latin "tripalium", qui désignait un instrument de torture utilisé pour punir les esclaves), 77% des Français se déclarent heureux dans leur métier, selon une grande enquête de la CFDT réalisée l'an passé. Dans certaines entreprises, ce taux de satisfaction atteint des sommets. Des grands groupes aux plus petites sociétés, chacun a ses recettes pour tenter d'améliorer le bien-être de ses employés, alors que débute lundi la Semaine pour la qualité de vie au travail.
"La notion-clé, c'est la confiance". "La notion-clé, c'est la confiance", souligne Loïc Dumoulin-Richet, directeur communication de Great Place to Work, qui publie chaque année depuis quinze ans son classement des entreprises où il fait bon travailler. Crédibilité, respect, équité, fierté, convivialité : plus ces éléments sont réunis, plus l'entreprise a de chances de figurer en haut du palmarès. À ce petit "jeu", depuis quatre ans, le grand gagnant, aussi bien en France qu'à l'échelle européenne, c'est Davidson Consulting.
" Nous avons décidé que rien dans le travail ne justifiait qu’on 'fasse la gueule' "
Davidson Consulting, l'entreprise rêvée ? Cette société française de conseil en management et d'expertise technologique, créée en 2005, emploie quelque 1.800 salariés. Peu sont visiblement ceux à se plaindre de leur situation. "Nous avons décidé que rien dans le travail ne justifiait qu’on 'fasse la gueule' … Nous multiplions les occasions de nous retrouver : formations, parrainage, échanges d’appartements, ateliers photos, week-end plongée, tennis, football, soirées théâtre, opéra…", met volontairement en avant sur son site l'entreprise basée à Boulogne-Billancourt, dans les Hauts-de-Seine. Chez Davidson Consulting, il y a même un coin sieste, qui fait face à l’espace détente où sont disposés piano, guitare, console de jeux, transat et baby-foot. Certains jeunes salariés peuvent également bénéficier d'un campus, pour un loyer inférieur de 25% à ceux du marché.
"Formation open bar". Mais la recette du succès comprend bien plus d'ingrédients. Le principal, peut-être, réside dans le management, horizontal : peu de niveaux hiérarchiques, des dirigeants très accessibles et des collaborateurs placés au centre de l'entreprise. Avec son programme "Formation open bar", celle-ci s’engage notamment à ne pas refuser une demande de formation à ses salariés. Ces préceptes sont tous répertoriés au sein du "Da Vidson Code", une charte réalisée par près de cinquante employés… De façon collaborative, évidemment. Et visiblement, ça paye. Davidson a quasiment triplé ses emplois et son activité et va réaliser 150 millions d'euros de chiffre d’affaires cette année. Une performance d'autant plus notable que 88% de l’effectif est en mission à l’extérieur et ne vient qu’épisodiquement dans les locaux de l’entreprise.
" Si l'employé est heureux, cela resurgit sur le client "
"Les employés d'abord". Ce qui est le cas pour une grande entreprise peut aussi l'être pour les plus petites. Fondée en 2006, Zenika, une autre entreprise de conseil et d'innovation technologique, a elle aussi dû rivaliser d'ingéniosité pour attirer des collaborateurs et ainsi faire face à la pénurie de compétences. Son PDG, Carl Azoury, a misé sur l'autonomie et la responsabilisation de ses employés. Son credo : "les employés d'abord, les clients ensuite", un concept popularisé par l'homme d'affaires indien Vineet Nayar. "Si l'employé est heureux, cela resurgit sur le client", explique Carl Azoury, qui consulte très régulièrement ses collaborateurs. "Outre la boîte à idées numérique ou les petits déjeuners du vendredi, on a ce notamment ce qu'on appelle 'l'humeur du mois' : à la fin de chaque mois, tout le monde vote en sélectionnant un smiley content, neutre ou triste. S'il est triste, le manager a 24 heures pour appeler la personne et en discuter avec lui", détaille-t-il. "Le mois dernier, seuls 2% des salariés ont fait part de leur tristesse", lâche-t-il fièrement.
À l'usine aussi, c'est possible. Davidson, Zenika… Les entreprises de services sont particulièrement nombreuses dans le classement Great Place to Work. "En usine, le métier peut être pénible, plus répétitif sans doute que pour un cadre supérieur, mais on peut développer le bien-être au travail dans n'importe quelle entreprise, de n'importe quelle taille, et de n'importe quel secteur", souligne Loïc Dumoulin-Richet, en prenant l'exemple de Valrhona, spécialisée dans la transformation du cacao, ou encore du groupe d'électroménager Seb, qui fait selon lui " énormément de choses sur la santé, pour prévenir les troubles musculo-squelettiques de ses employés en adoptant, entre autres, des postures de travail différentes".
" Pour que la pratique fonctionne bien, il faut qu'elle soit adaptée à la culture de l'entreprise "
Un baby-foot ne suffit pas. À la question "y a-t-il une recette miracle et universelle pour développer le bien-être au travail ?", Loïc Dumoulin-Richet répond cependant par la négative. "Pour que la pratique fonctionne bien, il faut qu'elle soit adaptée à la culture de l'entreprise", note-t-il. "L'exemple flagrant, c'est le baby-foot. Si les dirigeants ne voient pas d'un bon œil le fait de prendre une pause, les employés n'oseront pas y jouer. Vous pouvez donc mettre 18 baby-foots, ça ne marchera jamais. Même chose avec les crèches d'entreprise. Il faut déjà que les employés aient des enfants. Le temps de transport, la localisation de la société, tout ça rentre également en compte".
Un cercle vertueux. Les chefs d'entreprise sont en tout cas de plus en plus nombreux à comprendre l'enjeu de la qualité de vie au travail. D'une part, cela renforce l'attractivité de la société. D'autre part, "la performance sociale nourrit la performance économique et inversement. C'est un cercle vertueux", observe encore Loïc Dumoulin-Richet. En somme, un employé heureux travaillera toujours mieux qu'un collègue désabusé. D'autant que, selon Mozart Consulting et le Groupe Apici, le mal-être a coûté en 2013 quelque 13.500 euros par salarié et par an aux entreprises françaises, soit "une perte annuelle au niveau national de 200 milliards d’euros".