Les utilisateurs de LBD munis d'une caméra : les questions que soulève l'expérimentation

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Romain David

Les policiers armés de LBD seront munis d’une caméra-piéton dès samedi, à titre expérimental, à fait savoir Christophe Castaner, le ministre de l'Intérieur. Mais pour les invités de Wendy Bouchard, dans Le Tour de la question sur Europe 1, ce dispositif souffre de nombreuses limites.

Christophe Castaner entend mettre un terme à la polémique sur l'utilisation des armes de désencerclement par les forces de l'ordre lors des manifestations des "gilets jaunes". Le ministre de l'Intérieur a fait savoir que les tirs de lanceurs de balle de défense (LBD) seraient filmés lors des prochains affrontements, par une caméra-piéton directement située sur le tireur, ou bien sur un policier l'accompagnant.

Cette décision doit s'appliquer samedi pour l'"acte XI" du mouvement de grogne, à titre expérimental. Elle fait suite à une première expérimentation, menée à l'échelon local, à Bourg-en-Bresse dans l'Ain, samedi 19 janvier, et jugée satisfaisante par Beauvau. Pour autant, cet exercice pourrait se heurter à de nombreuses contraintes techniques et protocolaires, comme le relèvent jeudi les invités de Wendy Bouchard, dans Le Tour de la question sur Europe 1.

 

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Un matériel qui n'est pas adapté

Ce sont des caméras-piéton qui vont être utilisées pour enregistrer les tirs de LBD, c'est-à-dire un dispositif situé à la ceinture ou sur le torse de l'agent. Or, les mouvements du policier peuvent masquer à tout moment l'objectif ou faire dévier les angles de prise de vue. Un phénomène qui a d'ailleurs été observé à Bourg-en-Bresse. "En maintien de l'ordre, les policiers sont équipés avec du matériel qui est lourd, un casque, et la caméra peut aussi recevoir des projectiles", détaille au micro de La France bouge Christophe Rouget, commandant de police, secrétaire général adjoint du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure. "Il faudrait à terme une caméra sur le casque ou directement sur le LBD pour pouvoir filmer l'action dans des conditions correctes", explique-t-il.

Autre limite de l'exercice : la faible puissance des batteries des caméras-piéton, qui oblige les agents à les déclencher avant de passer à l'action. "Les CRS peuvent rester 15 heures sur le terrain, on n'a pas de matériel dont la batterie puisse tenir pendant 15 heures, relève Christophe Rouget. "Lors des expérimentations américaines en la matière, la caméra tourne pendant toute la durée de vacation de la patrouille", souligne de son côté Mathieu Zagrodski, chercheur associé au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales, qui rappelle que de nombreux tests de ce type ont été menés dans les pays anglo-saxons, en réponse au problème des violences policières. 

En conséquence, le ministre de l'Intérieur a fait savoir que les policiers acculés, contraint d'avoir recours au LBD pour se dégager de situations périlleuses, ne seraient pas tenus de déclencher leur caméra. L'expérimentation ne pourra donc s'appliquer qu'aux tirs de sommations. "On peut bien imaginer qu'en légitime défense, si le policier se fait agresser et n'a pas de système automatique, son premier réflexe ne sera pas d'appuyer sur le bouton de la caméra mais de se défendre", plaide Christophe Rouget.

Un manque de garanties

Enfin, le cadre même de cette expérimentation interroge. Quelles garanties pour assurer l'impartialité des observations qui en découleront ? Pour notre sociologue, Mathieu Zagrodski, ce type d'exercice devrait être guidé par une procédure précise. "Il n'y a jamais d'évaluation de ces expérimentations. On avait dit, après 'l'affaire Théo' (un jeune grièvement blessé après une interpellation policière en février 2017, ndlr) qu'il y allait avoir une évaluation en interne avec un rapport remis courant 2018 au ministère de l'Intérieur. On est en 2019, je n'ai jamais entendu parler d'un quelconque retour d'expérience...", déplore-t-il.

"Dans le monde anglo-saxon quand ces expérimentations sont menées, quelles qu'elles soient, il y a aussi un protocole d'évaluation de recherche qui les accompagne pour connaitre l'impact exact de cette mesure. Là, on se base uniquement sur les retours de terrain et le bon vouloir des policiers. Ce n'est pas suffisant."

Il relève toutefois que ce type de mesure a eu des conséquences positives là où elles avaient été mises en application. "Il y a un bienfait des caméras, observé dans les villes américaines ou ça a été expérimenté : elles génèrent une retenue des policiers", indique-t-il. "On peut aussi supposer que ça fait baisser les plaintes abusives".

Néanmoins, ce chercheur ne croit pas qu'un tel dispositif suffise à faire taire la polémique sur l'armement de la police lors des manifestations, et estime qu'une réflexion plus profonde sur les méthodes d'action des forces de l'ordre doit être engagée. "Il y a aussi la question des consignes politiques et hiérarchiques, des formations et du management. Ce n'est pas une caméra qui résoudra le problème des violences policières et, plus généralement, la question du rapport police-population", conclut-il.