"La vérité que j’ai à dire, ce n’est pas une stratégie. La vérité, c’est la vérité." La voix est ferme, le regard soutenu, les mots soigneusement choisis. Au deuxième jour de son procès pour fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale, Jérôme Cahuzac ne compte pas revenir sur ses révélations. Oui, il a bien ouvert un compte en Suisse en 1992 grâce à un intermédiaire pour financer les activités politiques de Michel Rocard. "Et s’il avait été vivant, j’aurais dit la même chose. Ce n’est pas pour faire parler la mémoire d’un mort", se défend-il à la barre.
Ce mercredi, le tribunal s'est penché sur un second compte, n°557847, ouvert en 1993 dans la banque Suisse UBS par l'ex-ministre du Budget lui-même. Nom de code : Birdie, une référence à un joueur de jazz plus qu’au golf, explique-t-il. Il y transfère les fonds du premier compte. Pourquoi ? "Par loyauté pour Philippe Péninque [qui a ouvert le compte de 1992, ndlr]. C’était à moi de prendre ce risque, pas à lui". Tout au long de l’audience, Jérôme Cahuzac ne cesse de tenir ce double discours : reconnaître avoir transgressé la loi, mais assurer l’avoir fait de bonne foi, par honnêteté vis-à-vis de ses engagements politiques, de ses amis, de sa famille.
" Mon but n’était pas que ce compte enfle "
Il réfute également toute velléité de s’enrichir pendant cette période. Il voulait seulement "que le compte reste à l’identique, pas qu’il enfle". Dans sa logique, il aurait ainsi pu rendre l’argent récolté pour Michel Rocard si on le lui réclamait. Pourquoi alors avoir donné un mandat à sa femme si les fonds ne lui appartiennent pas, le tance le procureur Toublanc ? L’homme politique s’agite à la barre, il s’énerve des questions pressantes, souffle, multiplie les digressions. Il invoque des "comportements à risque sur le plan sportif", affirme que c’était justement un moyen pour elle de rendre l’argent s’il lui arrivait quelque chose et qu’on le lui réclamait.
Patricia Ménard, ex-Cahuzac, est derrière lui, à quelques centimètres, toujours impassible dans son tailleur noir strict. Depuis le début du procès, elle n’a pas dit un mot. Aucune émotion ne transparaît. Une seule fois, elle perd son calme. Lorsque son ex-mari sous-entend lourdement qu’elle était au courant de ses malversations tout en assurant qu’il cherchait à la protéger. Elle se lève brusquement et se rassoit aussi vite, sur les conseils de son avocat. Son regard se perd une nouvelle fois dans le vide, forcée d’écouter celui pour qui elle peine à cacher son aversion.
" Je n’étais pas très à l’aise avec la situation "
La carrière politique de Jérôme Cahuzac s’envole à mesure que celle de Michel Rocard décline. En 1997, il est élu député. "Je n’étais pas très à l’aise avec la situation. Le mot est faible", confie-t-il à la barre, penaud. Pourtant, plutôt que de se mettre en relation avec le fisc, il s’emploie à rendre ses fonds de plus en plus opaques. En 1998, profitant de "vacances dans la région", il se rend en Suisse pour transférer ses comptes dans la banque Reyl "par souci de confidentialité". Il utilise également une société écran pour faire transiter l’argent entre la France et la Suisse. Qui est "l’ami" qui l’a mis en relation avec cette entreprise ? Il refuse de donner son identité. Toute l’ambiguïté de Jérôme Cahuzac est là : il joue le jeu de la transparence tout en restant opaque. Il refuse de donner des noms, des dates précises, des lieux… tout en multipliant les aveux.
En berne pendant sept ans, le compte sera à nouveau alimenté en 2000. 115.000 francs suisse, soit 60.000 euros. Cette fois, les activités politiques de Michel Rocard n’y sont pour rien. Jérôme Cahuzac reconnaît que les fonds proviennent de ses activités chirurgicales, réalisées au Proche ou au Moyen-Orient. Il est réglé en cash. "Je n’ose pas rentrer en France avec tout cet argent, je ne veux pas donner l’identité de mes patients". Alors, il se tourne vers la Suisse. "Mais vous êtes déjà député ?", s'enquiert le magistrat. "Je sais et cela m’accable". Cela ne l’empêchera pas de recommencer l’année suivante avant d’arrêter.
" Vous voulez que je m’accable encore plus Mr le Président ? "
Le président insiste, explique vouloir cerner la personnalité du prévenu. "Êtes-vous d’une froideur incroyable ou le tribunal a-t-il affaire à un homme qui a dû faire face à des difficultés ? C’est aussi cela que nous devons évaluer." Jérôme Cahuzac perd son sang-froid. Au bord des larmes, la voix noué, l’ancien ministre s'embarque alors dans un long monologue confession sur des faux airs de Caliméro. "Vous voulez que je m’accable plus encore, Monsieur le président ?", lance-t-il avant de raconter sa descente aux enfers lorsque son secret est révélé dans Mediapart, "pas seulement parce que ça allait détruire ma vie, mais parce que ça allait révéler une part de moi dont je voulus qu’elle n’exista jamais". Et d’ajouter :"Il y a une part de moi qui a fait cela. Ce n’est pas que moi, c’est aussi moi. Et j’en suis coupable. J’ai aussi fait des choses bien, mais ça n’effacera jamais ce que j’ai fait."