La femme et l'homme sont-ils avant tout différents "biologiquement", par nature, ou se distinguent-ils essentiellement par l'environnement socio-culturel dans lequel ils évoluent ? Pour caricaturer, les filles aiment-elles le rose "par nature" ou par "culture", par "convention" ? Autrement dit, est-ce une question de "sexe", ou de "genre" ? Les membres du collectif "VigiGender", eux, penchent clairement pour la première réponse. Et ils entendent le faire savoir. Après avoir mené campagne contre les manuels de SVT en 2011, contre les "ABCD de l'égalité" en 2014, ces adversaires de la "théorie du genre" se remobilisent.
Un livret de 52 pages pour les directeurs d'école. Comme le révèle Le Monde jeudi, le collectif a envoyé un livret de 52 pages à destination des directeurs d'école primaire. Ils comptent ainsi "inonder les boîtes aux lettres et les adresses internet" dans une "vingtaine de départements". Désormais, ces "VigiGender" ne s'attaquent plus à "la théorie du genre", expression clivante et sans ancrage scientifique, mais au "concept de genre". Ils mènent combat contre "la vision idéologique du genre, qui part du postulat que toutes les différences sociales entre hommes et femmes ne sont qu’une construction", peut-on lire sur leur site. "L’Homme est nature et culture, et pas uniquement culture. […] La culture s’est bâtie sur la différence sexuelle et pas de manière dissociée de la nature", détaillent-ils encore.
Selon eux, cette "vision idéologique du genre" est relayée à tous les étages, et notamment à l'Ecole. "Arracher les enfants à la norme [est] une priorité du gouvernement", titrent-ils, en page 13 de leur livret, comme le décrit Le Monde. "Cela fait deux ans et demi que nous collectons des exemples de diffusion du genre à l’école, mais aussi à l’université, dans l’édition, les médias", renchérit Esther Pivet, porte-parole du mouvement, citée par le quotidien du soir.
Sur leur site, parmi les exemples ainsi "collectés", on trouve un texte qu'aurait distribué un professeur de Sciences économiques et social (SES), à une classe de première. Celui-ci explique que les différences d'ambition professionnelles qu'il peut y avoir entre les hommes et les femmes sont dues à des pratiques ("Avoir fait pratiquer à la petite fille des jeux calmes", "avoir valorisé l’esprit de compétition et l’autonomie chez les garçons") et non à la nature des sexes. Les différences d'ambition "ne sont pas naturelles mais bien culturelles et provoquées", peut-on lire sur le texte de ce professeur.
Or, une telle affirmation, pour les VigiGender, c'est de "l'idéologie". Le livret envoyé aux établissements vise donc à multiplier les exemples de ce type, pour alerter les directeurs d'établissements que le gouvernement est en train de leur imposer "une vision", alors que "le débat" devrait primer sur la question.
Ils n'en sont pas à leur premier combat. Le collectif VigiGender a été créé en 2013, et fait partie de la "nébuleuse activiste née de la Manif pour tous", pour reprendre l'expression de la sociologue Céline Béraud et de l'historien Philippe Portier, auteurs de Métamorphoses catholiques, ouvrage qui s'intéresse (en partie) à ces militants, pour beaucoup issus des associations familiales catholiques. "Une fois la loi Taubira promulguée, les militants de la lutte anti-mariage pour tous ont (ré)investi le combat contre le genre dans l'enseignement", écrit l'ouvrage.
En 2013, des "comités de vigilances Gender" avaient d'abord été créés au niveau local par des parents, (notamment à l'appel de Ludovine de La Rochère, présidente de la Manif pour tous), avant de se structurer. Depuis, ce mouvement des "anti-gender" a déjà conduit le ministère de l'Education "à faire disparaitre certaines références au genre" de son site, selon ce livre sorti en juin dernier. Ces mêmes militants avaient aussi poussé (aidés par la droite) le gouvernement, en 2014, à rebaptiser les "ABCD de l'égalité", des fiches pratiques pour aider les profs à lutter contre les stéréotypes, en "mallettes pédagogiques", pour éteindre la polémique. Leurs actions rappellent aussi celles engagées en 2011 contre les nouveaux manuels de Sciences et Vie de la Terre (SVT) de l'époque, qui expliquaient que l'approche biologique ne suffisait pas à elle seule à expliquer "ce que l'on est en tant qu'homme ou femme".
Un activisme gênant ? Et le retour de ces "anti-genders" ne réjouit pas tout le monde, loin de là. "On a déjà connu des moments difficiles, du temps des ABCD de l’égalité et de la campagne de désinformation dont ils avaient été la cible. On ne voudrait pas que ça recommence", témoigne auprès du Monde Jean-Luc Vaisse, ancien dirigeant local de SE-UNSA et directeur d’une école élémentaire à Palavas-les-Flots (Héraut), qui vient de recevoir le livret. En 2014, "on avait eu droit à des opérations de tractage et à des rassemblements devant quinze à vingt écoles", se rappelle-t-il encore. Un autre directeur d'établissement (lui aussi membre de l'UNSA) s'inquiète, également, des divisions que pourraient entraîner le retour de cette question chez les enseignants. Cité par le quotidien du soir, il explique : "le fascicule a beau confiner au grotesque, il donne l’impression d’être finement argumenté [...] Des collègues anti-système, sûrs que l’éducation nationale est tenue par des penseurs gauchistes, ça peut aujourd’hui se trouver".