De Loïc Liber, la cour ne connaîtra qu'une voix. "Il ne souhaite pas être vu", annonce le président. La visioconférence entre l'hôpital où est soigné le seul rescapé des tueries de Mohamed Merah et les assises spéciales se fera donc sans image. Mais dès les premiers mots, toute la salle s'accroche au timbre posé de l'ancien militaire, désormais tétraplégique. "Au moment des faits, j'avais 27 ans", commence-t-il. "Actuellement j'en ai 33. Je ne respire plus seul, j'ai un stimulateur phrénique. Alors, si vous le permettez, je vais parler doucement afin de ne pas perdre mon souffle."
"Un cauchemar". La voix trahit une émotion certaine, sans que l'on n'y distingue de sanglots. "Il m'est compliqué de témoigner quand je n'ai que très peu de souvenirs", annonce-t-il. Son récit du 15 mars 2012 s'arrête brutalement, en début d'après-midi. "Avec mes deux compagnons d'armes, mes camarades, mes amis, nous sommes sortis devant le régiment de Montauban pour aller travailler en zone technique. Juste avant, nous avons retiré de l'argent au distributeur, vers 14 heures", raconte-t-il posément. "A partir de là, je ne me souviens plus de rien."
Loïc Liber a reçu une balle dans les cervicales, qui le fait souffrir chaque jour "dans la nuque, le dos, et l'estomac", et plus encore "lorsqu'il est un peu malade". Ses deux collègues, Mohamed Legouad et Abel Chennouf, sont morts devant leur caserne. "A mon réveil, il me semblait que tout cela n'était qu'un cauchemar", souffle le survivant. "Et puis j'ai vu monsieur Sarkozy, le président de l'époque, qui était là pour me parler. Et j'ai su que c'était bien réel."
"Je suis littéralement épuisé". "Depuis, ma vie est devenue un combat de chaque jour", explique l'ancien parachutiste, qui semble peser chaque mot. "Cela fait cinq ans que j'ai perdu mon indépendance, que je suis éloigné de ma famille, de mes amis, de mon île (la Guadeloupe, ndlr). Je ne peux plus me déplacer." Le rescapé évoque deux "douleurs", l'une physique, l'obligeant à prendre "beaucoup de médicaments", et l'autre "psychologique, présente à chacun de (ses) réveils". "J'étais une personne très active, le fait de ne plus pouvoir remarcher m'est insupportable. Je suis littéralement épuisé."
La cour retient son souffle. Le témoin, lui, ne perd pas le fil. "Ce procès ne va pas changer mon état de santé. Il ne me rendra pas mon corps, ma vie, ni celles de mes parents", poursuit-il. "Mais je serai plus serein en me disant que justice aura été faite et que les crimes dans notre pays ne restent pas impunis. Je n'ai pas de doute quant à la culpabilité des deux accusés. Moi, mes souvenirs me permettent de rester en vie quand mon présent est insupportable et mon futur trop incertain. Mon seul souhait est de pouvoir un jour sortir de l'hôpital."
Dans le box, Abdelkader Merah ne cille pas, les bras croisés sur la rambarde. Loïc Liber, qui a parlé d'une seule traite, se tait. L'unique question qui lui est posée vient du président : "si vous sortez peu de l'hôpital, c'est à cause du regard des autres ?". Et l'ancien parachutiste de répondre : "Bien sûr. J'avais la joie de vivre, j'étais debout. Et puis il a suffi d'un éclat."