L214 a encore frappé. Pour la septième fois en un mois, l'association de lutte contre la maltraitance animale a publié mercredi des vidéos mettant en cause deux abattoirs du Sud de la France, dans lesquels elle a caché des caméras : à Pézenas (Hérault) et Puget-Théniers (Alpes-Maritimes). Ces nouvelles images, filmées entre novembre 2015 et mai 2016, montrent "des actes de maltraitance, des violations de la réglementation, et des animaux en grande souffrance au moment de leur mise à mort", décrit l'association de défense des animaux dans un communiqué. Gouvernement et Parlement avaient, pourtant, pris plusieurs initiatives pour enrayer les cas de maltraitance. Comment expliquer ces nouveaux cas ? Eléments de réponse.
Que montrent ces vidéos ? "À l'abattoir de Pézenas, les chevaux sont parfois tirés au treuil jusque dans le box d'abattage. Les dispositifs d'étourdissement étant inadaptés ou défaillants, les cochons reçoivent des chocs électriques avant d'être vraiment insensibilisés. L'abattage rituel des bovins et des moutons donne lieu à des images cauchemardesques ('saignés sans étourdissement, ils sont égorgés par cisaillement, avant que le sacrificateur ne revienne découper dans la gorge des animaux encore vivants', raconte Le Monde ici)", détaille L214 dans un communiqué.
"À l'abattoir du Mercantour, les conditions d'abattage des bovins sont moyenâgeuses : la mentonnière du tonneau d'abattage est tenue par une ficelle, les employés doivent immobiliser la tête des veaux à l'aide d'une corde au moment de leur saignée", ajoute l'association. "Dans l’abattoir du Mercantour, un veau, accroché au rail par la patte arrière, tente de se relever pendant deux minutes entières, à moitié décapité, la tête dans un bac de sang. Plus tard, un mouton cherche à fuir, la gorge ouverte et en pleine conscience", complète Le Monde, qui a révélé la vidéo.
L'association a annoncé avoir porté plainte pour maltraitance et actes de cruauté contre les deux établissements. Selon le code rural français et la réglementation européenne, les animaux abattus doivent, en effet, être obligatoirement étourdis avant (sauf dans le cas de l'abattage rituel, où l'animal doit être égorgé d'un seul geste), pour ne pas être conscients de ce qui leur arrive.
" On estime qu’on fait un travail tout à fait convenable "
Les autorités n'avaient-elles pas pris des mesures ? Après les multiples révélations de L214, le ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, avait ordonné en mars dernier des inspections dans l'ensemble des abattoirs de France, puis annoncé le 5 avril un plan en faveur du bien-être animal. L'inspection nationale des abattoirs avait révélé des manquements graves sur 5% des lignes d'abattage des établissements inspectés au mois d'avril. Le ministre de l'Agriculture avait alors insisté sur les investissements nécessaires dans la filière et la formation des salariés. Depuis la loi Sapin II, votée le 16, un délit de maltraitance peut désormais viser les directeurs des abattoirs. Et les salariés qui les dénoncent sont protégés en tant que "lanceur d'alerte". Les précédentes vidéos avaient aussi entraîné la création d'une commission d'enquête parlementaire sur "les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français".
Et dans les deux abattoirs concernés mercredi ? Les deux abattoirs pointés mercredi avaient d'ailleurs été inspectés récemment. À Pézenas, en mai dernier, l'établissement avait fait l'objet d'un contrôle inopiné du député de l'Hérault Elie Aboud, qui n'avait rien constaté. Les 22 et 26 avril, ce sont les inspecteurs du gouvernement qui sont venus faire une visite. "Nous avons repéré des problèmes sur le poste d’étourdissement, mais nous avons appliqué des actions correctives immédiates, en changeant le matériel et l’opérateur", assure au Monde Caroline Medous, à la tête de la Direction départementale de la protection des populations (DDPP) de l’Hérault. "On estime qu’on fait un travail tout à fait convenable et on en est le plus fiers possible", déclarait alors le directeur de l’abattoir, Christophe Malleret, interrogé par Midi libre. Dans le Mercantour, les inspecteurs de l'Etat, venus en avril, n'avaient relevé aucun manquement.
" Un abattoir, ça abat, il y a du sang. "
Qu'est-ce qui a cloché ? Selon l'association, les deux abattoirs ont notamment manqué à leurs obligations dans le suivi vétérinaire des animaux. La loi impose en effet un contrôle régulier de médecins dans les abattoirs, ce que ne feraient pas les deux établissements. En outre, L2014 pointe le manque de rigueur des inspections du Parlement et de l'Etat. "Le député (Elie Aboud) n'avait pas souhaité voir l'abattage sans étourdissement des moutons. Avait-il vu l'utilisation du treuil pour les chevaux? Les dispositifs d'étourdissement pour les cochons? Les pratiques d'abattage rituel des bovins?", l'interpelle l'association dans son communiqué. Les images de l'abattoir du Mercantour "où les défauts de structure sont patents ont été tournées après les audits mandatés par le ministre. Elles démontrent une nouvelle fois la défaillance des services de l'État dans le contrôle du respect des règles de protection animale", dénonce encore L214.
L'association l'assure : seule une révolution complète de nos habitudes de consommations permettra d'éviter ce genre de maltraitance. "On a envie de croire que le problème, ce sont les cadences. Mais les petits abattoirs à l’approvisionnement local ne garantissent pas une meilleure protection des animaux, comparé à l’abattage industriel", explique Sébastien Arsac, porte-parole de L214. Qui poursuit : "Les choses bougent un peu du côté des services de l’Etat, des vétérinaires et des directions d’abattoirs, qui renforcent les contrôles. Mais cela reste insuffisant". L'association a accompagné la publication de ces vidéos du lancement d'une pétition demandant l'obligation de proposer un repas végétarien dans la restauration collective.
"Un abattoir, ça abat, il y a du sang. Ce sera aux services de l’Etat de me dire s’il y a des facteurs correctifs à prendre ou pas", se défend, pour sa part, le président des Abattoirs du Mercantour. Contacté par Midi Libre, le député Elie Aboud évoque une "bêtise" d'un salarié "imbécile" à Pézas. S'il espère que l'abattoir ne fermera pas, il assure que son rapport, qui doit être publié prochainement, incite l'établissement à prendre en compte diverses mesures : "Imposer la vidéo-surveillance dans absolument toutes les structures. L'ouverture obligatoire, dans toutes les structures également, d'une commission permanente de surveillance composée de représentants des médias, des consommateurs, du monde économique, des éleveurs et surtout de l'association de protection des animaux. Et, enfin, imposer une formation continue pour les opérateurs au niveau de la chaîne d'abattage."
"C'est la limite des contrôles humains: les actes de maltraitance avérés ne vont pas se produire sous nos yeux", conclut auprès du Monde Olivier Falorni, président de la commission d'enquête parlementaire.