"Il y aura énormément de monde demain (jeudi) dans les rues, j'en suis persuadé. Tous les salariés se sentent et sont directement concernés par la loi Travail". Philippe Martinez, numéro un de la CGT, interrogé par l'Humanité, s'attend à un mouvement d'ampleur jeudi contre la nouvelle mouture de la loi Travail, feu loi El Khomri. Mais le leader cégétiste peut paraître optimiste, tant le front syndical reste divisé sur la loi. Le dernier texte, présenté le 24 mars, abandonne le plafonnement des indemnités de licenciement et offrent de nouvelles libertés aux syndicats, ainsi que certains droits aux salariés (pour le détail des mesures, cliquez par ici). Ce qui a suffi pour convaincre les plus réformistes des syndicats de rester chez eux jeudi, comme ils l'avaient fait le 9 mars dernier.
Comment se positionnent les syndicats ? "Ce texte nous paraît un véritable outil de modernisation du dialogue social et de protection des salariés", a ainsi estimé mercredi Véronique Descacq, numéro deux de la CFDT, Pour la CFDT, la primauté de l'accord d'entreprise sur la branche n'est "pas une inversion de la hiérarchie des normes, mais une nouvelle construction de la norme sociale en proximité avec les salariés". Concernant la manifestation de jeudi, Laurent Berger, le leader de la CFDT, a même dénoncé sur BFMTV "une manifestation fourre-tout". "La facilité aurait été de dire 'ça nous va pas, on va défiler dans la rue et tans-pis', moi je préfère être utile aux salariés", explique le syndicaliste. La CFDT, qui espère obtenir des aménagements de la loi concernant les licenciements, préfère à son habitude la négociation à la manifestation.
CGT et FO, en revanche, ne répondent pas aux appels du pied du gouvernement et la nouvelle version du texte ne leur plait pas plus que l'ancienne. "Cette philosophie est tout à fait opposée à ce qui est le droit du travail, qui vise à rééquilibrer le lien de subordination entre l'employeur et le salarié, qui n'a jamais été non plus un frein à l'efficacité économique", a commenté mercredi Fabrice Angéi, membre de l'exécutif de la CGT, devant la commission des Affaires sociales de l'Assemblée. Jean-Claude Mailly continue lui aussi de demander le retrait du texte, dont il conteste la "philosophie libérale" dictée selon lui par les politiques européennes.
Même la CFE-CGC, le syndicat des cadres, plus libéral, trouve lui aussi "choquant" le "fondement même de la loi, qui fait un lien entre le chômage et le droit social". "Si c'était le cas, il y a belle lurette qu'il n'y aurait plus de chômage en France, puisque depuis 30 ans on ne cesse de flexibiliser les conditions sociales", a lancé mercredi devant les députés son secrétaire national, Franck Mikula, qui n'appelle pas à la grève pour autant.
Vers un remake de la journée du 9 mars ? Malgré la division sur la loi Travail, Philippe Martinez, prévoit tout de même un raz-de-marée à venir dans la rue. "Cette journée de jeudi cristallise aussi un certain nombre de mécontentements et de revendications. Comme l'amertume chez les fonctionnaires, les questions d'organisation du temps de travail avec la journée d'action de l'AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris, ndlr), mais aussi les questions salariales dans les entreprises, qui sont insupportables au vu des scandaleuses rémunérations des frères Carlos, Ghosn et Tavares (PDG respectifs de Renault et PSA)", abonde le patron de la CGT.
D'autant qu'en plus de la CGT et FO, les syndicats Solidaires, FSU (leader dans l'enseignement) et les organisations de jeunesse Unef, FIDL et UNL ont aussi appelé à faire grève jeudi contre "la régression sociale". Lors de la précédente mobilisation contre la loi, le 9 mars, plus de 200.000 personnes avaient défilé dans l'Hexagone (450.000 selon les organisateurs). L'absence de la CFDT et des syndicats réformistes, déjà, n'avait alors pas empêché les manifestants de se faire entendre. Quelques drapeaux CFDT avaient même été aperçus dans la rue par-ci par-là, brandis par une base en désaccord avec sa direction.
Quelle mobilisation chez les jeunes ? Les lycéens, qui avaient largement grossi les rangs des manifestants, ne semblent pas prêts de faire tomber la pression : le 24 mars, une cinquantaine de lycées avaient été bloqués par les élèves. Jeudi, au moins une vingtaine de lycées parisiens envisagent d'ailleurs de fermer leurs portes en prévention.
Pour rappel, la toute première manifestation contre le CPE (Contrat première embauche), en 2006, avait réuni le même nombre de manifestants que le 9 mars dernier. Contre le CPE, la mobilisation n'avait ensuite pas cessé de grossir, rassemblant jusqu'à 1,05 million de personnes selon la police (3 millions selon les organisateurs), le 28 mars 2006. Et l'exécutif avait peu de temps après abandonné la mesure.
Quelles perturbations dans les transports ?
- RATP
La régie des transports parisiens prévoit un train sur deux en moyenne sur les lignes A et B du RER (y compris sur les portions gérées par la SNCF), trois métros sur quatre et un trafic bus et tramway "quasi normal".
- SNCF
Un train sur deux en moyenne devrait circuler sur les réseaux TER et Transilien (moins sur le RER C et les lignes J, R et U). Côté Intercités, la SNCF prévoit 4 trains sur 10 de jour, aucun de nuit.
Sur le réseau TGV, les prévisions sont les suivantes: un train sur deux sur l'axe Nord, 3 sur 4 sur les axes Atlantique et Sud-Est. En revanche, les TGV Est circuleront normalement et le trafic sera quasi-normal sur les Ouigo (9 sur 10). Les trains internationaux ne sont pas touchés.
"Des perturbations restent à prévoir localement dans la matinée du 1er avril", prévient en outre la SNCF.
- Aérien
La direction générale de l'aviation civile (DGAC) a demandé aux compagnies d'annuler préventivement 20% de leurs vols à l'aéroport d'Orly et un tiers à Marseille en raison d'un préavis déposé par l'Usac-CGT, deuxième syndicat chez les aiguilleurs.
Air France prévoit à Orly "d'assurer l'ensemble des vols long-courriers" et 80% des vols intérieurs, ainsi que 65% de ses vols depuis ou vers Marseille. Roissy ne sera pas affecté, selon la compagnie.