Deux arbres plantés en hommage à Ilan Halimi, jeune Juif torturé à mort en 2006, ont été sciés lundi à Sainte-Geneviève-des-Bois, dans l'Essonne. Un peu plus tôt à Paris, des croix gammées ont été découvertes, recouvrant des visages de Simone Veil peints sur des boîtes aux lettres du 18e arrondissement. Et à en croire les dernières statistiques officielles, ce type de vandalisme est en plein boom : les actes antisémites ont augmenté de 74% en 2018, a annoncé lundi le ministère de l’Intérieur. Mardi sur Europe 1, la rabbin Delphine Horvilleur en appelle à une "réaction nationale". Et elle demande également aux "gilets jaunes" de se saisir, eux aussi, de la question.
"De semaine en semaine, il y a des gens dans les rues aujourd’hui en France. Je rêve d’imaginer que samedi prochain, le thème de cette manifestation, les panneaux qu’on y verra, seront des panneaux qui, d’une certaine manière, diront 'not in my name', c’est-à-dire que des gens pourront dire 'pas en mon nom'", lance Delphine Horvilleur, membre du Mouvement juif libéral de France.
" Il se passe une violence qui s'extériorise, qui se manifeste et qui s'exprime de la façon la plus odieuse "
Pourquoi en appeler ainsi aux "gilets jaunes" ? Pour l'heure, aucune des enquêtes sur des actes récents d'antisémitisme n'impute la responsabilité aux "gilets jaunes". Pourtant, plusieurs voix établissent un lien entre ces actes et les agissements d’une minorité radicalisée se réclamant du mouvement qui agite la France depuis le 17 novembre. La présence de certains groupuscules violents d'extrême droite au sein des cortèges, elle aussi, inquiète.
Sur France Info mardi, Pierre-François Veil, fils de Simone Veil, s’est ainsi inquiété d’une potentielle montée en puissance des actes antisémites pendant les manifestations. "Il se passe une violence rentrée qui s'extériorise, qui se manifeste et qui s'exprime de la façon la plus odieuse", a-t-il commenté. "J'observe que l'extrême-droite profite de ce mouvement pour propager des messages de haine. Et je regrette vivement qu'il n'y ait pas assez de condamnations au sein des gens qui animent ces manifestations [...] Ce mouvement m'inquiète", a également fait savoir Frédéric Potier, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT, sur RTL.
Et même s’ils restent rares, quelques incidents ont tout de même jeté le trouble sur le mouvement. Le 22 décembre, par exemple, une vidéo tournée dans le métro parisien montrait un groupe de personnes vêtues de gilets jaunes défendre des thèses négationnistes sur la shoah à une passagère. Le même jour, un autre groupe avait été filmé à Montmartre faisant un chant à la gloire de la "quenelle", ce geste popularisé par Dieudonné et à connotation antisémite. Parmi les "gilets jaunes", toutefois, de nombreuses figures interrogées par Europe 1 s’élèvent pour dénoncer ces actes et se disent prêtes à répondre à l’appel de Delphine Horvilleur.
"Je condamne tous ces actes. Ce sont les faits de quelques marginaux, d’abrutis. Et autour de moi, je ne connais personne qui ait applaudi un quelconque tag antisémite. Brandir des slogans contre l’antisémitisme samedi prochain, au sein des ’gilets jaunes’, cela pourrait être une très belle initiative", assure à Europe 1 Benjamin Cauchy, porte-parole des "gilets jaunes libres". "Je regrette tout acte antisémite, raciste, homophobe. La France, ce n’est pas ça. Tout le monde peut trouver sa place, à condition de se respecter. Et ce n’est pas du tout le combat des ‘gilets jaunes’", poursuit auprès d’Europe 1 Christophe Chalençon, autre figure emblématique des "gilets jaunes", se disant "bien sûr" prêt à afficher son opposition à tout acte antisémite samedi prochain.
"Nous sommes clairement contre toute attaques raciste, sexiste, antisémite, homophobe...Nous sommes contre tout appel à la haine. Nous sommes pour une fraternité sans frontières", enchaîne pour sa part l’un des administrateurs de la page Facebook "gilets jaunes Toulouse", l’une des villes où la mobilisation est encore forte. Sont-ils prêts à faire entendre une voix en ce sens samedi prochain ? "Nous ne décidons de rien ici. Nous allons faire passer le message. Liberté à chacun de s'en saisir", nous indique-t-il.
Sur les ronds-points, également, le sujet de l’antisémitisme commence à en préoccuper certains. "Ces dernières semaines, deux personnes sont venues nous voir, séparément. Les deux nous ont fait comprendre, plus ou moins directement, que la situation dans laquelle nous nous trouvions actuellement, c’était la faute des juifs", nous raconte Bernard, présent depuis des mois sur les ronds-points de Saint-Avold, en Moselle. "Le premier, qui devait avoir dans les 30-35 ans, on lui a clairement fait comprendre que ce n’était pas du tout notre sujet. Nous condamnons tous les actes d’antisémitisme. Avec le second, un petit vieux, on a fait les bébêtes, on lui a dit ‘oui, oui’, et il est parti. Mais si ça se propage, on va réfléchir à la manière de faire comprendre à tout le monde que l’on a rien à voir avec ça", poursuit-il.
Chez d’autres "gilets jaunes", le ton est davantage à l’agacement contre le "gouvernement et les médias", qui seraient responsables de "l’amalgame" entre "gilets jaunes" et antisémitisme. Sur certaines pages Facebook, des internautes accusent même l’exécutif de brandir la menace de l’antisémitisme pour décrédibiliser le mouvement. "Le gouvernement cherche tous les moyens pour enrayer le mouvement", raille ainsi l’un d’entre eux sur la page Facebook de Loire-Atlantique. "Il y a d'abord eu la stratégie politico-médiatique de l'épouvantail d'un mouvement d'extrême-droite qui n'a pas vraiment fonctionné, alors maintenant ils tentent la stratégie politico-médiatique de l'épouvantail d'un mouvement antisémite !", moque un autre.
Tous, en revanche, entendent continuer à faire pression sur le gouvernement. Comme le résume Christophe Chalençon, pour les "gilets jaunes", "si la situation devient ce qu’elle est, c’est aussi parce que le gouvernement ne nous écoute pas". Pour sa part, l’exécutif, qui attend désormais le résultat du "grand débat national" pour trouver une issue à la crise, assure qu’il ne laissera rien passer sur le front de l’antisémitisme. "Face aux vents mauvais de l'antisémitisme, la République fera bloc. C'est son honneur, c'est son devoir", a tweeté le secrétaire d'Etat à l'Intérieur Laurent Nuñez. Et Christophe Castaner d’asséner, en référence à l’arrachage des deux arbres plantés en hommage d’Ilan Halimi : "L'antisémitisme se répand comme un poison comme un fiel. Il attaque, il pourrit les esprits, il assassine. Le gouvernement ne laissera rien passer. Ici on plantera des arbres encore plus grands, encore plus beaux".