Cela fait désormais 25 jours que Mathias Depardon est détenu dans un centre de rétention à Gaziantep, au sud-est de la Turquie, à la frontière syrienne. Trois longues semaines pendant lesquelles les autorités turques ont très peu communiqué sur son cas. Ce qui manque essentiellement dans cette affaire, c'est un motif clair de détention. Et bien que le cas de Mathias Depardon ait été évoqué entre Emmanuel Macron et le président turc Erdogan, la situation ne semble pas se décanter.
Pourquoi ce journaliste est-il emprisonné ?
Installé en Turquie depuis cinq ans, Mathias Depardon, journaliste indépendant qui aura 37 ans en juin, a été arrêté le 8 mai à Hasankeyf, dans la province de Batman, dans le sud-est du pays, où il effectuait un reportage pour le magazine National Geographic. Il a rapidement été transféré dans un centre d'accueil géré par la Direction des affaires migratoires à Gaziantep, également dans le sud-est du pays, où il est retenu depuis lors, malgré une décision d'expulsion émise le 11 mai.
Le motif de son arrestation, et de sa détention depuis maintenant trois semaines, est plus que nébuleux. La Turquie l'accuse d'avoir travaillé dans le pays sans autorisation. En effet, Mathias Depardon avait demandé le renouvellement de sa carte de presse turque, mais n'avait reçu aucune réponse de la part des autorités turques compétentes. Si Reporters sans frontières (RSF) sait désormais que la Turquie n'avait pas l'intention de garder le journaliste français sur son territoire, Mathias Depardon n'a pour autant jamais reçu la moindre notification en ce sens. Il a donc continué à travailler comme avant, jusqu'à ce 8 mai.
Dans quel état se trouve-t-il ?
Le 21 mai, Mathias Depardon entamait une grève de la faim pour alerter les autorités françaises sur sa condition. Sa mère s'inquiétait alors, au micro d'Europe 1, de l'état de santé et du moral de son fils. "Pour qu'il entame une grève de la faim, je crois qu'il ne va pas bien. Il le fait parce qu'il est au bout du rouleau", témoignait Danielle Van De Lanotte, le 25 mai dernier. Depuis la rencontre entre Emmanuel Macron et Recep Tayyip Erdogan, en marge d'un sommet de l'Otan à Bruxelles, et la promesse du président turc d'examiner "rapidement la situation" du photojournaliste français, Mathias Depardon a recommencé à s'alimenter.
"Son avocate a pu s'entretenir avec lui samedi. Il va bien, il attend le résultat des manœuvres diplomatiques en cours", précise Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l'Est et Asie centrale à Reporters sans frontières (RSF), interrogé par Europe1.fr jeudi. Selon les informations obtenues par RSF, le journaliste serait "bien traité", et "va mieux au niveau psychologique".
Pourtant, il est très difficile pour Mathias Depardon d'avoir des contacts avec l'extérieur. Son avocate a normalement le droit de le voir deux fois par semaine, mais elle en est parfois empêchée. "Jeudi dernier, elle a fait deux heures de route pour se rendre au centre de détention, elle a patienté trois heures. Tout ça pour entendre les gardiens lui dire que ce n'était finalement pas possible", raconte Johann Bihr.
Quelle est la position du président Erdogan ?
Au cours d'un entretien en marge d'un sommet de l'Otan à Bruxelles, "le président Macron est intervenu en faveur" de Mathias Depardon auprès du président turc. Recep Tayyip Erdogan a promis à Emmanuel Macron d'examiner "rapidement la situation" du photojournaliste français.
"On en est réduits à des suppositions. Est-ce que la partie turque veut sauver la face en continuant à faire traîner sa libération ? Ou est-ce que les Turcs veulent des contreparties ? On espère que rien de pervers ne se joue, mais l'on craint que Mathias ne soit devenu une monnaie d'échange pour la Turquie", glisse Johann Bihr.
Que font l'Elysée et le Quai d'Orsay ?
Mathias Depardon a été arrêté seulement deux jours après le second tour de l'élection présidentielle. Dès lors, très peu de communication a été faite autour de son cas. "Faut-il y voir l'effet de la mise en place d'une nouvelle équipe au ministère des Affaires étrangères ? Toujours est-il que le silence public des autorités françaises nous a d'abord beaucoup interrogés", déplore Johann Bihr. "Compte tenu de l'absence de motif de détention et du manque de communication des autorités russes, la situation de Mathias s'apparente pourtant à celle d'une prise d'otage", alerte le responsable de RSF.
Depuis le sommet de l'Otan à Bruxelles, Emmanuel Macron est monté au créneau, affichant une image de fermeté et de détermination. Cette rencontre, si elle n'a pas été suivie de la libération immédiate du ressortissant français, a au moins eu le mérite de débloquer la visite consulaire légale, que les autorités turques empêchaient depuis l'arrestation du journaliste.
Quelle mobilisation en France ?
Le 29 mai, un comité de soutien a été créé, regroupant des confrères et des amis du photoreporter, ainsi que le Syndicat national des journalistes (SNJ). Le comité est coordonné par Reporters sans frontières. Déjà, des actions sont à l'étude pour mobiliser l'opinion publique et favoriser la libération rapide de Mathias Depardon. Sur les réseaux sociaux, une campagne "#FreeMathias" a été lancée. "S'il n'est pas libéré dans les prochains jours, nous avons prévu d'installer des banderoles à son effigie sur les frontons des mairies, et de lancer une pétition. L'étape d'après sera de nous rendre directement en Turquie", indique Johann Bihr.
Les représentants des syndicats français de journalistes (SNJ, SNJ-CGT, CFDT-Journalistes) ont été reçus mercredi soir par Romain Nadal, porte-parole du Ministère des Affaires étrangères, afin d'exprimer leur préoccupation sur le sort de leur confrère. Romain Nadal est également en contact quotidien avec la mère de Mathias. De son côté, RSF assure vouloir multiplier les rendez-vous au ministère des Affaires étrangères pour, enfin, obtenir des réponses et la libération rapide de Mathias Depardon.
La liberté de la presse menacée en Turquie
En Turquie, la liberté de la presse "prend un chemin dangereux", selon un rapport du Conseil de l'Europe, publié en février dernier. Son commissaire aux droits de l'homme, qui s'est rendu dans le pays, évoque une détérioration alarmante. Plus de cent journalistes seraient actuellement emprisonnés en Turquie, soit quatre fois plus qu'en 2015. 170 médias ont été fermés par le gouvernement, et au moins une centaine de reporters sont aujourd'hui emprisonnés.