Vingt ans après sa mort et alors qu'octobre marque le centenaire de sa naissance, François Mitterrand a-t-il encore des secrets ? Sans doute, et une partie d'entre eux s'apprête à être levée le 13 octobre. Gallimard publie deux ouvrages au nom de l'ancien président de la République (1981-1995), en réalité des documents privés fournis par Anne Pingeot, maîtresse de Mitterrand du début des années 1960 jusqu'à sa mort en 1996. On y découvre une facette intime de l'homme d'Etat, sensible poète et amoureux permanent.
Adepte du collage.Journal pour Anne est une reproduction d'un carnet qu'a tenu François Mitterrand entre 1964 et 1970, un document unique. Au vu des quelques pages publiées en avant-première par Le Monde, avant même le fond, c'est la forme qui frappe. A l'image du titre "Pour Anne que j'aime", fait de lettres découpées dans des journaux, "Tonton" organise ses textes autour de collage : feuilles d'arbre, photos, coupures de presse, et même morceaux de carte routière. Une construction formelle qui évoque le Mitterrand artiste, une passion qu'il partage avec Anne Pingeot. Conservatrice au Louvre et au musée d'Orsay, elle a joué un grand rôle dans la construction de la pyramide du Louvre, sous l'ère Mitterrand.
Amour de chaque jour. Les textes sont tout aussi surprenants. L'écriture est adolescente mais les mots finement choisis. La passion contenue mais visiblement enflammée. On pourrait penser que celui qui n'est alors que député de la Nièvre s'épandrait sur sa vie politique. Il n'en est rien. Si quelques événements sont bien relatés, d'autres comme l'élection présidentielle de 1965 et mai 68 sont complètement éclipsés. François Mitterrand écrit en fait pour Anne Pingeot et ne parle que d'elle. A chaque page, il lui (re)déclare son amour. De quoi réviser le qualificatif "volage" parfois accolé à son nom. Son amour pour celle qui a pourtant 27 ans de moins apparaît ici véritable, et lui de se remémorer par écrit des souvenirs partagés avec sa maîtresse. De leur amour naîtra en 1974 une fille, Mazarine, dont Paris Match révélera l'existence en novembre 1994.
Plus de 1.200 lettres en 34 ans. L'autre livre, Lettres à Anne, est un recueil massif de la correspondance amoureuse entretenue par François Mitterrand avec Anne Pingeot. 1.218 lettres envoyées par l'homme d'Etat entre 1962 et 1995, soit une trentaine par an en moyenne. On y découvre la prose d'un président-écrivain mais pas uniquement. Parfois, les lettres prennent la forme de poèmes, à l'instar de ce passage d'une missive du 15 novembre 1963, publiée par L'Obs : "Je t’ai rencontrée et j’ai tout de suite deviné que j’allais partir pour un grand voyage. Là où je vais, je sais au moins que tu seras toujours. Je bénis ce visage, ma lumière. Il n’y aura plus jamais de nuit absolue pour moi. La solitude de la mort sera moins solitude. Anne, mon amour."
Echange de surnoms. Au détour de ces lettres, on apprend que la déférence de Mitterrand à l'égard de sa maîtresse est tel qu'il la vouvoie pendant les deux premières années de leur relation. Par la suite, leur relation se fait plus intime et Anne Pingeot en vient à surnommer son amant "Cecchino", petit François en italien, auquel il répondait parfois "ma nannon aimée" ou (plus exotique) "mon canard à l'orange amère". Si la passion semble inépuisable, le couple secret n'évite pas quelques accrocs. "Il y aura toujours une intervention, une élection, ou un congrès dans l'air", écrit Anne Pingeot en 1971, dans une lettre qu'elle n’enverra pas. "Moi j'ai la fatigue, l'inquiétude quotidienne. Si tu m'aimes, tu dois essayer de me rendre heureuse. Et me rendre heureuse, c'est t'effacer." Dans une lettre datée de trois mois avant sa mort, Mitterrand écrivait que son amante était "la chance de sa vie".
Journal pour Anne. 1964-1970, de François Mitterrand, Gallimard, 496 p., 45 € (en librairie le 13 octobre 2016).
Lettres à Anne. 1962 à 1995, de François Mitterrand, Gallimard, 1.270p., 35€ (en librairie le 13 octobre 2016).