Mort d'Adama Traoré : "Les parties civiles veulent imposer leur vérité"

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Mathilde Durand

Depuis quatre ans, l'affaire de la mort d'Adama Traoré fait l'objet d'une bataille judiciaire entre la famille de la victime et les trois gendarmes présents lors de son interpellation. Sandra Chirac-Kollarik, avocate d'un des trois gendarmes mis en cause, dénonce le comportement des parties civiles, qui veulent selon elle "imposer leur vérité" dans ce dossier très médiatisé.

Il y a quatre ans, Adama Traoré décédait à la suite d'une interpellation. Depuis, la bataille judiciaire et médiatique fait rage autour de sa mort, devenue un symbole en France de la lutte contre les violences policières. Or, entre avis médicaux et contre-expertise, la justice peine à démêler l'affaire. Sandra Chirac-Kollarik est l'avocate d'un des trois gendarmes mis en cause dans la mort d'Adama Traoré. Son client tenait les jambes de la victime lors de son interpellation. Elle l'affirme : "Il n'y a pas eu de plaquage ventral". Au micro d'Europe 1, elle accuse les parties civiles de vouloir "imposer leur vérité".

"Pour avoir un plaquage ventral, il faut un individu à interpeller qui soit debout, pour pouvoir le plaquer, par définition, et ensuite pouvoir le maîtriser et l'interpeller. Ce n'est pas ce qui s'est passé avec Adama Traoré, qui est retrouvé en position allongée, enroulé dans un drap, dans un lieu clos volets fermés, qui a alors les bras positionnés sous son ventre, qui ne souhaite pas sortir ses bras, qui se crispe, qui agite les jambes, qui refuse d'être interpellé", décrit l'avocate. "On est sur une situation de danger car on ne sait pas si une arme est cachée sous ce ventre, donc les gendarmes vont pratiquer une interpellation qui va nécessiter l'intervention de trois gendarmes, et non deux".

Une répartition des rôles entre les gendarmes décrites à chaque audition

Le 19 juillet 2016, Adama Traoré est décédé des suites d'une asphyxie dans la caserne de Persan, près de deux heures après son arrestation dans sa ville de Beaumont-sur-Oise, dans le Val-d'Oise, au terme d'une course-poursuite et après avoir échappé à une première interpellation un jour de canicule. Ni témoins, ni vidéos n'ont rendu compte de la scène, uniquement connue par le témoignage des trois gendarmes et les conclusions des médecins. Dans un des interrogatoires, un des gendarmes indique que la victime "aurait pris le poids de tous les trois". Une déclaration qui vient étayer la thèse d'un écrasement ayant entraîné la mort.

"Ce sont des mots qui ont été tenus par l'un des gendarmes, il n'y aucune difficulté là-dessus. Mais ce qu'il faut préciser, c'est que le gendarme qui porte ses mots va dans la foulée décrire précisément l'action de chacun et lorsqu'il s'exprime de la sorte c'est pour décrire l'instantanéité d'une situation, le fait de devoir maîtriser", précise l'avocate. Dans les faits, les trois gendarmes sur place auraient donc, selon leurs déclarations, maîtrisé chacun une partie du corps : un pour chaque bras, un pour les jambes, par technique de l'enroulement, pour ensuite menotter le suspect.  

"La répartition des rôles a été constamment décrite par les trois gendarmes", affirme Sandra Chirac-Kollarik. "A aucun moment vous ne trouverez dans les auditions de ces gendarmes, ni même dans le rapport d'autopsie tout simplement, qu'on a des traces sur le corps d'Adama Traoré du poids de 250 kilogrammes de gendarmes."

Des avis médicaux erronés 

Le 2 juin dernier, la famille d'Adama Traoré révèle un nouvel avis médical qui affirme que ce dernier est mort des suites d'un placage ventral, réalisé par les trois gendarmes. "Ce n'est pas une expertise, c'est un avis médical. Toute partie dans une procédure judiciaire peut produire un avis médical, solliciter un médecin tiers au dossier mais la question est : qu'est-ce que l'on soumet à ce médecin ? Quelle est sa spécialité ? Dans quelles conditions il a agi ?", s'interroge l'avocate. "Là on sort un rapport en 72 heures, un week-end de Pentecôte, d'un médecin qui d'ailleurs s'était prononcé dans un premier avis médical qui comporte une grossière erreur".

"Ce premier avis médical présentait une fracture à la cinquième côte qui vient attester d'une asphyxie positionnelle, donc un écrasement par des gendarmes, alors que qu'il s'agit en fait de l'arc antérieur et que c'est le signe du massage cardiaque", poursuit Sandra Chirac-Kollarik. "C'est la dernière expertise judiciaire qui l'indique. Les parties civiles veulent imposer leur vérité et ne sont aucunement à la recherche de la vérité depuis le départ dans ce dossier."

L'implication d'éléments extérieurs au dossier et le lynchage des trois gendarmes

Elle dénonce le lynchage dont son client, ainsi que les deux autres gendarmes, a fait l'objet. Ces derniers ne sont pas mis en examen dans la mort du jeune Adama Traoré, mais placés sous le statut de témoins assistés. "Lorsqu'on parle de vous en des termes qui sont inqualifiables, lorsque vous êtes traités de tueurs, de criminels sur les réseaux sociaux, lorsqu’encore récemment, dans une émission télévisée, on vient jeter en pâture votre patronyme, comment peut-on dire qu'ils vivent bien la situation ? Je ne souhaite à personne ce que ces trois gendarmes vivent depuis trois ans."

Pour maître Sandra Chirac-Kollarik, la famille d'Adama Traoré est figée dans un scénario. "Il y a quatre ans, un jeune homme est mort, nous ne l'oublions pas. Il faut poser des questions, savoir comment cela s'est passé, c'est légitime. Le problème c'est que la justice a été saisie et qu'elle a apporté des réponses. Mais que ces réponses ne vont pas dans le sens de vérités préétablies (…) et aujourd'hui nous butons."

"Dans cette affaire, on vient convoquer le monde politique, on vient convoquer le monde artistique, on vient convoquer des personnes qui n'ont pas accès à ce dossier. Cela veut dire que la famille d'Adama Traoré, dans cette quête, qui n'est pas la recherche de la vérité puisque cette vérité judiciaire ne l'intéresse pas, vient convoquer des personnes pour qu'elles s'associent à ce mouvement, ce lynchage".