C'est une interview sans concession, donnée pour éteindre la polémique qui dure depuis une semaine. Lundi, dans les colonnes de Libération, la directrice de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), Brigitte Jullien, et le chef de l'unité de coordination des enquêtes, David Chantreux, s'expriment sur le rapport rendu à propos de l'opération des forces de l'ordre à Nantes lors de la Fête de la musique. Dans la nuit du 21 au 22 juin, cette intervention s'était soldée par la chute de fêtards dans la Loire. L'un d'entre eux, Steve Maia Caniço, a perdu la vie.
"On n'a pas établi de lien avec les moyens d'une enquête administrative"
Or, le rapport de l'IGPN n'établit aucun lien entre ce drame et l'action des forces de l'ordre. Ce qui a suscité un tollé, notamment sur les réseaux sociaux. Brigitte Jullien et David Chantreux se défendent donc dans le quotidien. Sur le fond, d'abord, ils nient avoir blanchi la police. "Nous n'avons jamais écrit ça", s'insurge le second. "On ne dit pas qu'il n'y a aucune possibilité qu'il y ait un lien entre la chute de Steve et l'intervention de police, ou que la victime est tombée pour une tout autre cause. On dit simplement qu'on n'a pas établi un lien avec les moyens d'une enquête administrative."
Sur le fond toujours, l'enquête de l'IGPN a conclu à un emploi de la force légitime cette nuit du 21 au 22 juin. "Légitime en réaction à des jets de projectiles", précise Brigitte Jullien. "On ne porte pas de jugement sur les consignes de la préfecture d'aller éteindre la musique à 4 heures du matin." Ce qui, en réalité, revient à porter un jugement et charger la préfecture et la mairie.
Quid de l'usage de nombreuses grenades lacymogènes, en pleine nuit, qui plus est près d'un fleuve ? "À partir du moment où ils prennent ces projectiles, pour nous, juridiquement, ils sont légitimes à riposter", confirme David Chantreux. Qui explique également que si le rapport de l'IGPN nie toute "charge" des forces de l'ordre, c'est pour une question d'usage technique du terme, une charge étant "quand des policiers courent, clairement, en groupe, vers l'avant, munis d'armes de maintien de l'ordre". Or, dans ce cas précis, il n'y a pas de course en groupe.
Des limites d'une enquête administrative
Ce que les deux responsables de l'IGPN martèlent surtout, c'est que leur rapport est une enquête administrative, qui a certaines limites et ne peut se substituer à une procédure judiciaire. "Cela veut dire qu'on doit faire ce qu'on peut avec les moyens dont on dispose dans le cadre d'une enquête administrative. Et ce ne sont pas des moyens de police judiciaire : ce sont les mêmes moyens que n'importe quelle autre administration", détaille David Chantreux. Par exemple, impossible pour l'IGPN d'accéder aux procès-verbaux de plainte, de convoquer des tiers. "Mardi, on a donc rendu les conclusions d’une enquête administrative, qui est circonscrite, et qui au regard de l’ampleur de l’affaire et de la gravité des faits, ne peut pas répondre en trois semaines à la question posée."
En revanche, David Chantreux et Brigitte Jullien bottent en touche sur les témoignages parus dans la presse, que l'IGPN n'a pas utilisés. "Ça aurait pu être utilisé, peut-être que nos enquêteurs ne l'ont pas vu, je ne sais pas", évacue la seconde.
Attendre les nouveaux éléments de l'enquête judiciaire
Tous deux renvoient désormais aux conclusions de l'enquête judiciaire. "On ne dit pas 'circulez, y a rien à voir' !", martèle Brigitte Jullien. "Bien évidemment, on pourra accéder à des tas d'autres éléments dans l'enquête judiciaire." Notamment sur la légitimité de l'usage de la force dans les circonstances particulières ce soir-là (près du fleuve, en pleine nuit, etc.) : "Ce sera abordé dans le cadre de la procédure judiciaire, la question n'est pas fermée à jamais", assure David Chantreux. "Ce que nous sommes précisément en train de faire, à savoir débattre des conclusions de l'enquête administrative, est vain. Parce que, forcément, elle n'est qu’une réponse provisoire au déroulé des événements."