Pour la quatrième nuit consécutive, des centaines de policiers ont défilé dans plusieurs villes de France, jeudi soir. Près de 800 gardiens de la paix ont manifesté leur "ras-le-bol" dans le centre-ville de Lyon, tandis que 500 de leurs collègues se réunissaient à Paris. Des rassemblements ont également eu lieu à Bobigny, à Toulouse et à Bordeaux notamment. Les fonctionnaires se disent "à bout" et dénoncent l'inaction de leur hiérarchie et des pouvoirs publics face à un malaise qui dure depuis plus de deux ans.
- Quelle est l'origine de la contestation ?
Le mouvement est né dans l'Essonne, où les véhicules de quatre policiers ont été pris pour cible par des cocktails Molotov à Viry-Châtillon, le 8 octobre. Deux d'entre eux ont été gravement blessés. Lundi, dix jours après les faits, un message d'appel à la mobilisation "entre Bleus" a été abondamment partagé par SMS et sur des forums de policiers. Le soir, des centaines de gardiens de la paix venus de toute l'Ile-de-France se sont rassemblés devant l'hôpital Saint-Louis, où leurs collègues blessés étaient hospitalisés, avant de manifester sur les Champs-Elysées.
Ce sont principalement les attaques de policiers, dans l'Essonne, à Mantes-la-Jolie ou en Corse qui ont mis le feu aux poudres. Mais les propos polémiques du ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve, qui avait qualifié les agresseurs de Viry-Châtillon de simples "sauvageons", ont également attisé la colère des policiers. "On est quoi, des débiles qui n'arrivons pas à nous battre contre quinze sauvageons ?", réagissait un policier du premier cortège sur Europe 1. Malgré les menaces de sanctions de la hiérarchie, les rassemblements se sont ensuite multipliés chaque soir de la semaine, gagnant plusieurs villes de France.
- Quelles sont les revendications des manifestants ?
"Les policiers ont le sentiment d'impunité (de leurs assaillants, ndlr), les peines ferme ne sont pas prononcées", expliquait sur Europe 1 Stanilsas Gaudon, secrétaire général du syndicat Alliance, mardi. Dans le viseur des manifestants se trouve donc le ministère de la Justice : dans un premier temps, les gardiens de la paix demandent l'obtention de statistiques sur les agressions les visant et les sanctions données par les juges dans chaque cas. Le garde des Sceaux s'est engagé à fournir ces chiffres, mercredi. Certaines organisations, dont Alliance, réclament également le rétablissement des peines plancher pour les agresseurs de policiers, instaurées par la droite puis abolies par la gauche.
Autre motif de revendication : une révision du cadre juridique d'emploi des armes pour les gardiens de la paix, afin d'assouplir les règles de la légitime défense. La demande, qualifiée de "surenchère démagogique" à gauche, revient fréquemment ces dernières années, les policiers ne bénéficiant d'aucun régime spécifique en la matière, sauf dans le cas d'une attaque terroriste de masse. En pleine lutte antiterroriste, les manifestants réclament également davantage de moyens et se plaignent d'un surplus de missions "statiques", consistant à surveiller des lieux ou des bâtiments, notamment dans le cadre de l'état d'urgence.
- Par qui le mouvement est-il organisé ?
Mercredi, le Premier secrétaire du Parti socialiste Jean-Christophe Cambadélis a dénoncé la "patte" du Front national, dont plusieurs membres ont affiché leur soutien aux manifestants, dans la mobilisation. Les participants évoquent, eux, des rassemblements "spontanés", organisés par la "base", sans les puissants syndicats de police. "Il y a en effet une perte de confiance", analysait le spécialiste des questions policières Mathieu Zagrodski sur Europe 1, mercredi. "Plusieurs policiers disent que les syndicats sont dans des guerres d'influence entre eux et oublient un peu le terrain".
- Comment a réagi l'exécutif ?
La mobilisation des ministres de l'Intérieur et de la Justice, qui ont reçu les syndicats de police et annoncé le lancement de concertations dans les départements, n'a pas suffi à apaiser la contestation, mercredi. "Vous demandez des moyens, nous vous les donnons. Vous demandez du soutien, il vous est acquis", a de nouveau assuré Bernard Cazeneuve, dans une lettre adressée vendredi aux policiers. La veille, Jean-Jacques Urvoas avait promis "la plus grande fermeté" pour les agresseurs, tout en refusant de rétablir les peines plancher.
De son côté, François Hollande a annoncé vendredi qu'il recevrait, à leur demande, les syndicats de police "en début de semaine". S'affirmant "dans une démarche de dialogue", le chef de l'Etat a reconnu l'existence d'un "malaise profond" des gardiens de la paix.
- Comment le mouvement va-t-il se poursuivre ?
Les syndicats tentent de reprendre la main sur un mouvement qui les a dépassés, mais peinent à parler d'une seule voix. L'organisation Unité-Police SGP-FO, deuxième syndicat des gardiens de la paix, a appelé à une "marche de la colère", silencieuse, prévue mercredi. De son côté, une intersyndicale regroupant notamment Alliance, Synergie Officiers, l'Unsa et la CFE-CGC, a annoncé préférer "consacrer [son] énergie à la levée des obstacles qui entravent l'action" des policiers. Ces syndicats appellent les gardiens de la paix à manifester devant les palais de justice tous les mardis, de 13 heures à 13h30.
Au sein de la "base", les messages continuent de circuler via les téléphones et internet. Vendredi, ils incitaient à ne pas baisser la garde, ni laisser les syndicats récupérer un mouvement né indépendamment.