Lors de son procès, en décembre, Nicolas Moreau avait prévenu les magistrats : "si vous jugez qu'un an et demi, cela suffit, alors demain je trouve une épouse et je me range. Mais si vous me mettez une lourde peine, cela va être plus dur de me réinsérer. Je reprendrai les armes." Une menace sans effet sur les juges, qui ont rendu leur délibéré, lundi. Pour ses 18 mois passés au sein de l'organisation Etat islamique (EI) entre janvier 2014 et juin 2015, Nicolas Moreau a été condamné à dix ans de prison, avec une période de sûreté des deux tiers. L'homme de 32 ans, au parcours singulier, a refusé d'être extrait de sa cellule de Fleury-Mérogis pour connaître sa peine. A l'audience, il avait martelé ne pas être du genre à se "faire marcher sur les pieds, que ce soit par la justice ou par les autres".
Des faits de petite délinquance. L'histoire française de Nicolas Moreau commence en 1988. Né en Corée du Sud, le garçon est adopté à l'âge de quatre ans, avec son frère Flavien, de trois ans son cadet. De son pays d'origine, il conserve les souvenirs violents des coups portés par son père biologique à sa mère, de la faim, puis de l'orphelinat. Installés dans la région de Nantes, les frères Moreau connaissent une enfance heureuse, se reconstruisent. Mais l'équilibre s'effondre lors du divorce de leurs parents adoptifs. Multipliant les faits de petite délinquance, Nicolas est placé en foyer, puis dans un centre éducatif fermé.
En 2008, vingt ans après son arrivée sur le territoire français, le multirécidiviste est condamné à sa plus longue peine de prison : cinq ans ferme. En détention, il lit le Coran, se convertit à l'islam. Dans la tête du jeune Coréen au nom français, en quête d'identité, germe l'idée du djihad. Son frère, qu'il croise parfois en détention, connaît le même cheminement idéologique. Entre deux séjours en prison, tous deux se forment à un métier manuel : boulanger pour Flavien, marin-pêcheur pour Nicolas.
Un restaurant marocain à Raqqa. Le premier à concrétiser ses ambitions djihadistes est le cadet. En novembre 2012, Flavien passe une dizaine de jours en Syrie avant de rentrer en France. "Fumer, c'était interdit dans la katiba. J'avais emporté des Nicorettes, mais ça n'a pas suffi. Alors j'ai laissé mon arme à mon émir, et je suis parti", raconte-t-il deux ans plus tard, lors de son procès. Avant d'être condamné à sept ans de prison ferme - une première, pour un djihadiste rentré de Syrie -, une confidence lui échappe, en pleine audience : comme lui, Nicolas a rejoint la zone irako-syrienne. Mais il n'est pas encore rentré.
Au sein de l'EI, qu'il a rejoint en janvier 2014, après avoir brièvement exercé son métier sur un chalutier, en mer du Nord, Nicolas Moreau est en effet devenu une "personnalité assez connue", selon ses propres mots. Quelques mois après son arrivée, il a ouvert un restaurant marocain à Raqqa, en investissant un "butin de guerre". Le Français, que l'on surnomme "Abou Seif le Coréen", selon l'Obs, y croise certaines hautes figures de l'organisation terroriste, comme le recruteur Omar Omsen. Après les dégâts causés par un bombardement, l'apprenti restaurateur est contraint d'abandonner son établissement. Il combat alors en Irak, avant de rejoindre brièvement la police de Raqqa.
"J'ai pris conscience des excès de Daech". Mais au printemps 2015, l'image de l'organisation se fissure dans l'esprit du jeune homme. "J'ai pris conscience des excès de Daech", expliquera-t-il lors de son procès. "Daech est une secte, ils font du bourrage de crâne, ils torturent les prisonniers, ils font la misère même aux musulmans." Au mois de juin, Nicolas Moreau s'enfuit en Turquie, où il est arrêté et transféré en France. Devant les enquêteurs, il tente d'obtenir sa libération en échange d'informations sur l'EI, avant de cesser de coopérer. Après les attentats du 13-Novembre, l'ancien-marin pêcheur écrit une lettre au juge, affirme qu'il a notamment connu Samy Amimour, l'un des trois kamikazes du Bataclan.
Devant ses juges, Nicolas Moreau explique aspirer à une existence rangée, ailleurs qu'en France. Évoque la possibilité d'aller vivre en Corée du Sud, de s'y marier. "Libéré, il reviendrait à son engagement djihadiste", répond l'avocat général. Lundi, l'ancien marin-pêcheur a finalement écopé de la peine maximale pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.