"Oui", a sobrement répondu Niels Högel à la cour, mardi matin. "Oui", les accusations visant l'ex-infirmier, déjà en prison depuis près de dix ans pour six crimes, sont justes. Entre 2000 et 2005, il a bien tué au moins cent patients dans différents hôpitaux de Basse-Saxe où il travaillait, sans que ses employeurs, la police ou la justice ne se rende compte de rien. Jusqu'au mois de mai prochain, le tribunal d'Oldenbourg, délocalisé dans un complexe polyvalent pour pouvoir accueillir les dizaines de parties civiles d'un procès hors normes, doit tenter de retracer le parcours de celui qui se présente auprès de ses co-détenus comme le plus grand criminel allemand depuis la Seconde Guerre mondiale.
"Sympa", puis "oiseau de mauvaise augure". Avant de se retrouver au cœur de cette affaire d'une ampleur inédite, Niels Högel a longtemps été un infirmier comme les autres. Né dans une famille catholique en 1976, l'homme décrit comme "sympathique" et "amusant" par d'anciens camarades de classe interrogés par le Nordwest Zeitung, choisit la même profession que son père. D'un niveau plutôt moyen, il décroche son diplôme en trois ans et exerce d'abord dans sa ville natale de Wilhelmshaven. Là encore, on se souviendra de quelqu'un de "gentil".
En 1999, l'homme rejoint l'hôpital d'Oldenbourg, où la façade se fissure. L'établissement a bonne réputation et Niels Högel ne se sent pas à la hauteur. Il commence à boire et développe des tendances dépressives, conjuguées à une peur panique de la mort. Aux soins intensifs, les réanimations - et les décès - se multiplient lorsqu'il est de service. Ainsi devient-il "l'oiseau de mauvaise augure", avec qui on préfère ne pas travailler.
Surnommé "le Rambo de la réanimation". Fin 2002, l'établissement se sépare de l'infirmier en raison d'une "perte de confiance", mais lui rédige tout de même une lettre de recommandation. Entre temps, Niels Högel s'est marié et a eu une fille. Il est embauché à l'hôpital voisin de Delmenhorst, où on le surnomme le "Rambo de la réanimation" pour les mêmes raisons : un nombre étonnant de prise en charge des arrêts cardiaques, avec plus ou moins de succès.
L'affaire bascule en 2005, lorsqu'un collègue surprend le jeune homme en train d'injecter un produit non prescrit à un patient. Niels Högel, 28 ans, est poursuivi et condamné pour tentative de meurtre. Dès juillet 2006, un dossier établi par la police sur la base des statistiques de Delmenhorst révèle des chiffres saisissants : entre 2003 et 2004, le taux des décès y a été deux fois plus élevé que les années précédentes. La consommation de produits cardiaques a monté en flèche. Et dans presque tous les cas, l'infirmier était de service.
"Pour lui, c'était comme une drogue". Mais le parquet ne réagit qu'en 2008, sous la pression de familles de victimes, dessinant le scénario d'un mode opératoire glaçant : Niels Högel cherchait à amener des patients au seuil de la mort par une piqûre surdosée, avant de tenter de les réanimer, souvent en vain. Cinq décès suspects sont identifiés. L'expertise psychiatrique de l'infirmier fait état de sévères troubles narcissiques et d'une incapacité à percevoir les malades comme des "individus". Lors de son deuxième procès, en 2015, il est condamné à perpétuité, sans avoir fait état d'aucun remord.
Pourquoi tuait-il ? Par "ennui", selon le parquet. Mais aussi par désir de briller devant ses collègues, en montrant ses talents de réanimation, allant parfois jusqu'à appeler les apprentis du service pour assister à son "travail". L'homme assure d'ailleurs que la mort n'était pas son objectif : lorsqu'il parvenait à ranimer des patients, il se sentait apaisé pendant quelques jours. "Pour lui, c'était comme une drogue", affirmera un psychiatre.
100 victimes, de 34 à 96 ans. En marge du deuxième procès, l'enquête s'accélère encore. Plus de 130 corps sont exhumés par une commission spéciale, baptisée "Kardio". Les policiers évaluent le nombre potentiel de victimes à plus de 200, sans pouvoir le confirmer : beaucoup de corps ont été incinérés.
Pour les neuf prochains mois, l'infirmier comparait donc "seulement" pour 64 meurtres commis à Delmenhorst et 36 à Oldenbourg, mis au jour par l'enquête. Des victimes choisies arbitrairement, âgées de 34 à 96 ans, sans profil particulier.
Alors, pourquoi ? Face aux familles de ses victimes, mardi, Niels Högel a commencé à expliquer son geste par la prise d'analgésiques pour faire face à la pression de services de soins intensifs en sous-effectifs. "C'était le stress. Avec les médicaments, ça me paraissait plus facile, tout simplement", a-t-il posé. Et d'ajouter qu'il aurait dû réaliser que "ce métier n'était pas fait pour (lui)".