Nouvelle-Calédonie : nouvelle nuit d'émeutes, les députés adoptent la révision constitutionnelle

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avec AFP / Crédits photo : GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP , modifié à
La Nouvelle-Calédonie s'est réveillée mercredi après une deuxième nuit consécutive d'émeutes, dénoncées comme "indignes" par Emmanuel Macron, pendant que les députés votaient à Paris la révision constitutionnelle du corps électoral à l'origine de la colère du camp indépendantiste.

Au terme de la nuit, le représentant de l'État dans l'archipel français du Pacifique-Sud a fait état de "graves troubles à l'ordre public (...) toujours en cours", dont de "nombreux incendies et pillages de commerces et d'établissements publics" et annoncé plus de 130 interpellations depuis le début des violences, les plus graves depuis celles, meurtrières, des années 1980. "Plusieurs dizaines d'émeutiers ont été placés en garde à vue et seront présentés à la justice", a précisé le Haut-commissariat de la République dans un communiqué.

En métropole, l'Assemblée nationale a adopté dans la nuit de mardi à mercredi par 351 voix contre 153 le texte qui élargit le corps électoral. La réforme devra encore réunir les trois cinquièmes des voix des parlementaires réunis en Congrès à Versailles.

 

Emmanuel Macron appelle au calme

Dans un courrier adressé mercredi aux représentants calédoniens condamnant des violences "indigne(s)" et appelant au "calme", Emmanuel Macron a précisé que le Congrès se réunirait "avant la fin juin", à moins qu'indépendantistes et loyalistes ne se mettent d'accord d'ici là sur un texte plus global. Le projet de loi constitutionnelle vise à élargir le corps électoral aux élections provinciales, cruciales dans l'archipel. Les partisans de l'indépendance jugent que ce dégel risque de "minoriser encore plus le peuple autochtone kanak".

Devant la presse, le président indépendantiste du gouvernement du territoire, Louis Mapou, a "pris acte" de la réforme votée à Paris mais déploré une "démarche qui impacte lourdement notre capacité à mener les affaires de la Nouvelle-Calédonie".

"Nous lançons un appel au calme", a poursuivi Louis Mapou. "Les mobilisations doivent se passer dans un cadre", a enchaîné le président du sénat coutumier Victor Gogny, "Depuis deux jours on est sorti de ce cadre et le pays est en feu. Il faut revenir dans ce cadre et que tout se calme".

Plusieurs infrastructures publiques de la capitale ont brûlé dans la nuit

Dans un courrier adressé au chef de l'Etat, la principale figure du camp non-indépendantiste, l'ex-secrétaire d'État Sonia Backès, a demandé de son côté au chef de l'État de déclarer l'état d'urgence, "notamment en engageant l'armée aux côtés des forces de police et de gendarmerie". "Nous sommes en état de guerre civile", a-t-elle déploré.

Malgré l'instauration d'un couvre-feu dans l'agglomération de Nouméa mardi dès 18h00 locales (09h00 à Paris), les actes de vandalisme y ont repris de plus belle dès la nuit tombée. Plusieurs infrastructures publiques de la capitale ont brûlé dans la nuit, a constaté un correspondant de l'AFP. Des voitures accidentées ou calcinées étaient également visibles un peu partout dans les rues, alors que des camions transportant des gendarmes mobiles, entre autres forces de l'ordre, sillonnaient la ville.

Des habitants patrouillaient armés de bâtons ou de battes de base-ball

Mercredi matin, faute d'approvisionnement des commerces, les pénuries alimentaires ont provoqué de très longues files d'attente devant les magasins. Certains à Nouméa étaient pris d'assaut, d'autres étaient quasiment vides, n'ayant plus de pain ni de riz à vendre.

Dans les quartiers, la débrouille s'organise. "Nous nous sommes organisés spontanément", a expliqué à l'AFP David, un habitant du quartier de Ouema qui a souhaité garder l'anonymat. "Hier en fin de journée, des gens ont essayé de faire entrer quatre barils d'essence. Nous filtrons la circulation la journée", a-t-il indiqué, alors que certains habitants se sont "armés" de clubs de golf ou de cannes de croquet.

À Tuband, un autre quartier de Nouméa, des habitants patrouillaient armés de bâtons ou de battes de base-ball, encagoulés ou casqués. "Nous sommes là depuis hier pour protéger la ville", a affirmé Sébastien, 42 ans, habite la Vallée des Colons, près de Tuband. "Les flics sont débordés alors on essaye de se protéger et dès que ça chauffe, nous prévenons les flics pour qu'ils viennent nous aider. On essaye de faire en sorte que chaque quartier ait sa milice", a-t-il expliqué à l'AFP.

Plus de 70 policiers et gendarmes blessés

Tranchant avec les tensions à quelques kilomètres à peine de là, de rares touristes regardaient, incrédules, un patrouilleur de la Marine nationale croisant au large des baies de l'Anse Vata et des Citrons, et observaient le ballet des hélicoptères de l'armée au-dessus de l'archipel.

Dans un bilan provisoire rendu public mardi, le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin a fait état de "plus de 70 policiers et gendarmes blessés" dans les violences. Et "80 chefs d'entreprises ont vu leur outil de production brûlé ou détruit", a-t-il précisé devant l'Assemblée mardi. Les premières altercations entre manifestants et forces de l'ordre avaient commencé dans la journée de lundi, en marge d'une mobilisation indépendantiste contre la réforme constitutionnelle.

Dans la crainte d'un enlisement, des éléments du GIGN, du RAID (son équivalent pour la police), quatre escadrons de gendarmes mobiles et deux sections de la CRS 8, une unité spécialisée dans la lutte contre les violences urbaines, ont été mobilisés. D'autres renforts étaient en cours d'acheminement dans l'archipel, selon Gérald Darmanin. Cinquante membres du GIGN vont être envoyés en Nouvelle-Calédonie d'ici la fin de la semaine, a précisé une source proche du dossier à l'AFP, ce qui portera à une centaine les effectifs de l'unité d'élite de la gendarmerie dans l'archipel.