Nouvelle-Calédonie : pourquoi le référendum est contesté

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avec Aurélie Herbemont, envoyée spéciale à Ouvéa , modifié à
Estimant que le référendum d’autodétermination est "illégitime" et marginalise leur communauté, des Kanaks appellent à boycotter le vote.

La Nouvelle-Calédonie est à la croisée des chemins. Les habitants du Caillou sont appelés à voter dimanche (dans la nuit de samedi à dimanche en métropole) pour le référendum d’autodétermination. Les néo-calédoniens ont le choix entre l’indépendance ou le maintien dans le giron de la France. Mais, entre le oui et le non, un troisième camp veut faire entendre sa voix : celui du boycott. Un mouvement de contestation, né au sein de la communauté kanake, appelle à ne pas voter, au motif que ce référendum "bidon" exclut les natifs de l’île, déjà victimes d’inégalités économiques et sociales criantes.

Une liste électorale "illégitime"

Nombreux sont ceux qui contestent l’organisation même du référendum. Les Kanaks ont ainsi longtemps considéré qu’ils étaient les seuls à pouvoir se prononcer sur l’indépendance de l’île. Lors des accords de Nouméa, signés en 1998, leurs représentants ont finalement approuvé une liste électorale élargie. La "liste référendaire" a été arrêtée en novembre 2017 à Matignon, avec l’aval de toutes les parties. Au total, 174.154 personnes sont autorisées à voter dimanche lors du référendum, sur les 210.000 inscrites sur la liste électorale de Nouvelle-Calédonie. Les autres ont été mises à l’écart faute de remplir les conditions requises de durée de résidence sur le Caillou (résider dans l’archipel depuis 1994).

 

"Une farce électorale". Avec 80.120 électeurs de statut civil coutumier, soit 46% des inscrits, la population kanake est minoritaire au sein du corps électoral référendaire. En résulte un sentiment d’injustice au sein de la communauté, qui s’estime marginalisée dans ce vote, et qui a notamment poussé le parti Travailliste, un mouvement indépendantiste minoritaire, à appeler au boycott. "Tout a été fait pour que le peuple concerné soit de plus en plus large. C'est tout sauf un référendum d'autodétermination et il n'est pas question pour nous, représentant le peuple colonisé, de nous associer à une farce électorale", a dénoncé Louis-Kotra Uregei, leader kanak du parti.

Une position partagée par Macky Wea, 74 ans et leader d’un collectif appelant au boycott. "En glissant ton bulletin, tu valides la mort du peuple kanak. Ce référendum est bidon et illégitime. Lors d'un référendum d'autodétermination, seul le peuple colonisé doit voter, donc les Kanaks", affirme-t-il au micro d’Europe 1. Un sentiment renforcé par le fait que plus de 20.000 Kanaks ne seraient pas inscrits sur la liste référendaire.

Préserver l’identité du peuple kanak

Au-delà de la liste des votants, certains habitants du Caillou estiment tout simplement que le référendum ne sert pas la cause kanake. À Ouvéa, atoll rendu tristement célèbre suite à la prise d’otages de la gendarmerie par un commando indépendantiste en 1988, les quelque 3.400 habitants sont divisés, entre ceux qui iront voter et ceux qui préfèrent s’abstenir. Dans le nord de l'île, un collectif d'habitants de la tribu Gossanah, à laquelle appartenaient les militants tués par les gendarmes en 1988, appelle "à une non-participation massive". Dès l'entrée, des banderoles annoncent la couleur : "Ne pas participer, c'est rendre le référendum du 4 novembre illégitime" et "Je ne participe pas au référendum bidon".

Référendum Nouvelle-Calédonie

Macky Wea, toujours lui, avance ses arguments. Il déplore, comme le Parti travailliste auquel il appartient, qu'en 30 ans, les Kanaks soient devenus "minoritaires chez eux". S’il reconnaît que sa position radicale n’est pas la plus répandue, il estime qu’avec cette opposition à la tenue du référendum, "dans l'histoire et les archives, il sera inscrit que des Kanaks n'ont pas voulu que le peuple kanak s'éteigne". Benoit Tangopi, ex-preneur d'otage de la grotte et survivant de l'assaut militaire, qui a fait quelques mois de prison avant d'être amnistié, partage son avis. Désormais âgé de 54 ans, il estime que le référendum va "noyer" le peuple kanak.

Le référendum ne résorbera pas les inégalités

C’est le dernier argument du troisième camp, celui du boycott. Quelle que soit l’issue du vote, le référendum ne changera rien aux conditions de vie d’une partie de la population kanake. En face du marché d’Ouvéa, il n’est pas rare de voir les sans-abri se regrouper pour récupérer les invendus. Une image symbolique : en dépit de trente années de rééquilibrage économique et social en faveur du peuple premier de Nouvelle-Calédonie, les inégalités restent criantes dans cet archipel. "Nous sommes toujours marginalisés", déplore Karl, bonnet Kanaky enfoncé sur la tête, en dénonçant le chômage élevé chez les Kanaks, lié selon lui à la forte immigration des métropolitains.

Les Kanaks plus frappés par le chômage. Trente ans après les accords de Nouméa, les promesses de "rééquilibrage" en faveur des Kanaks sont, pour beaucoup d’habitants, restées lettre morte. Certes, la Nouvelle-Calédonie se porte bien, principalement grâce au nickel, métal rare qui foisonne sous la surface du Caillou. Dans les meilleures périodes, sa contribution à la valeur ajoutée peut atteindre 20%. Résultat, le PIB par habitant de l’île a été multiplié par 1,7 en 15 ans et est aujourd'hui équivalent à celui d'une région comme l'Alsace.

Le niveau de vie est proche de la métropole, mais avec de grandes disparités selon les provinces, au détriment du Nord et des îles Loyauté, particulièrement touchés par la pauvreté. "La Nouvelle-Calédonie peut être considérée comme un pays riche. Mais les écarts de revenus sont énormes. Les 10% les plus riches ont huit fois plus que les 10% les plus pauvres. En métropole, le rapport n’est que d’un à trois", souligne Catherine Ris, professeure d’économie à l’université de Nouméa, dans les colonnes de Ouest-France. Un déséquilibre qui se fait au détriment des Kanaks : le taux de chômage de la communauté atteint 18,6%, contre 11,6% pour l’ensemble des Néo-calédoniens. Une inégalité qui commence dès l’école puisque seuls 15% des bacheliers sont d’origine kanake, contre 55% d’Européens.