Cinq nuits déjà qu’un petit parfum d’insurrection imprègne la place de la République. Chaque soir depuis jeudi 31 mars, des centaines de personnes s’y retrouvent pour une nouvelle nuit debout. Spontanés et pacifiques, ces rassemblements ne s’essoufflent pas et pourraient connaître un nouveau pic mardi soir après les manifestations contre la loi Travail. Reportage.
Des centaines d’anonymes rassemblés. "Lundi, pas d’assemblée générale, on se repose un peu", avait annoncé la page Facebook de Nuit Debout après quatre premières nuits blanches. Pourtant, des centaines de personnes se sont à nouveau retrouvées hier soir pour une assemblée citoyenne "non décisionnelle", qui s'est prolongée tard dans la nuit. Travailleurs, étudiants, précaires… les visages et les sensibilités de la Nuit Debout sont multiples. Emmanuelle, 24 ans, est là pour sa deuxième nuit. "C’est un moyen de continuer la contestation qu’il y a autour de la loi El Khomri. Mais on là pour contester bien plus que ça", explique cette étudiante en anthropologie.
Les visages de la Nuit Deboutpar Europe1fr
Le rêve d’une révolution citoyenne. "La nuit n'a pas de bout, nous sommes l'aurore", proclame une pancarte dans la foule. Dénuée de leader, la Nuit Debout offre la parole à tous, et la retranscrit dans des comptes-rendus quotidiens. Grand militant de 26 ans, Marco est présent depuis le premier soir, persuadé qu'il faut "construire une politique différente, qui vienne du bas et de la rencontre entre les gens, et les différents besoins". Venu "pour voir si ce n’était pas juste un truc festif après la manif" contre la loi Travail du 31 mars, il a été "étonné de voir qu'autant de monde revenait le lendemain pour prendre la parole, débattre…"
Les visages de la Nuit Deboutpar Europe1fr
Imaginer la démocratie autrement. Chaque nuit apporte sa nouvelle vague de curieux. Certains, enthousiastes, confient avoir eu envie de venir après être tombés sur la retransmission de l’événement en vidéo, en direct sur l'application Periscope. A République, comme sur les places espagnoles où sont nés les Indignés, on n’applaudit pas, on agite les mains pour saluer les discours. Séduite par cette démocratie réinventée où l'on vote à main levée, Elise, 20 ans, apprécie la dimension participative des rassemblements. Ça lui évoque "la Grèce Antique, où tout le monde levait la main pour participer". Et dans cet esprit de convergence des luttes, chaque soir a son lot d'invités, à l'image des paysans bio ou de la diaspora congolaise opposée à Sassou N'Guesso qui sont venus s'exprimer lundi soir.
Les visages de la Nuit Deboutpar Europe1fr
L'absence de structure, un écueil ? A la craie ou sur des cartons, de nouveaux slogans fleurissent chaque nuit. Lundi, ce sont les étudiants des Beaux-Arts qui sont venus construire un "château fort" bariolé au cœur de la place, à l'aide de matériaux de récupération et de grandes bâches tendues aux arbres de la place. Sans structure, la Nuit Debout survit grâce à des commissions de bénévoles qui se sont formées spontanément. Ce sont elles qui s'assurent que chacun puisse prendre la parole, ou encore que les débats ne soient pas perturbés par des casseurs. Mais le mouvement est "comme en suspens", observe Tom, un jeune demandeur d'emploi. "On n'a aucune idée de ce que ça peut devenir". Et comme lui, beaucoup s'interrogent sur la tournure à donner à ce mouvement encore insaisissable.