Le fait divers est vieux de près de cent ans. Pourtant, ses rebondissements sont toujours suivis comme un feuilleton. En creusant le sol de l'ancienne maison de la famille Seznec, les bénévoles ont découvert un os humain, samedi. "Peut-être une tête de fémur", selon le procureur de Brest. Puis un deuxième, dimanche, trouvé cette fois par les enquêteurs de la police, qui ont pris le relais. Car l'enjeu est de taille : si les restes humains appartenaient à Pierre Quémeneur, disparu sans laisser de trace en 1923, ils pourraient enfin donner son épilogue à l'une des plus grandes énigmes judiciaires du 20ème siècle.
- Que s'est-il passé en 1923 ?
Guillaume Seznec, négociant en bois à Morlaix, et Pierre Quémeneur, conseiller général du Finistère, quittent Rennes le 25 mai 1923. L'époque est aux grands trafics de l'après-guerre et les deux amis doivent se rendre à Paris, pour y négocier la vente de voitures provenant de stocks américains. Mais la vieille Cadillac au volant de laquelle ils partent de Bretagne va de pannes en crevaisons. Selon Seznec, Quémeneur se lasse à quelques dizaines kilomètres de la capitale. En passant à la gare de Houdan, dans les Yvelines, il intime à son compère de le déposer : il rentrera en Bretagne en train. Seznec s'exécute et reprend lui aussi la route du Finistère, mais en voiture. Il met deux jours à rallier Morlaix… où personne n'a vu revenir Pierre Quémeneur.
La famille du conseiller général s'inquiète et s'apprête à prévenir les autorités lorsqu'un télégramme arrive du Havre. "Ne rentrerai Landerneau que dans quelques jours, tout va pour le mieux. Quémeneur." Le message, qui se veut rassurant, inquiète les proches de l'homme politique, qui savent qu'il signe habituellement de son prénom. Quelques jours plus tard, un nouvel indice vient confirmer leurs doutes : au Havre, la valise de Pierre Quémeneur est retrouvée tâchée de sang. À l'intérieur, une promesse de vente à Guillaume Seznec du manoir de Plourivo, dans les Côtes-du-Nord, à un prix très avantageux.
- Comment l'enquête s'est-elle déroulée ?
Le négociant en bois est arrêté en juillet. L'enquête durera douze jours. Aucun corps n'est retrouvé, aucune preuve n'atteste même de la mort de Pierre Quémeneur. Les effectifs de gendarmerie, doublés pour résoudre la disparition d'une figure politique locale, découvrent que plus aucun train ne partait de Houdan à l'heure où Guillaume Seznec a déposé Pierre Quémeneur. Ce dernier n'a laissé aucune trace dans un quelconque hôtel de la ville. Le chef de gare se souvient en revanche avoir vu les deux hommes se disputer sur le quai. Dans la Cadillac, un cric lourd de 15 kilos a disparu. Et pour faire disparaître un corps, Seznec a pu recourir à la chaudière de sa scierie.
Le suspect nie en bloc. Il dit n'avoir jamais mis les pieds au Havre. Mais chez lui, on retrouve une machine à écrire qui aurait servi à taper le télégramme reçu par la famille du conseiller général. Les graphologues sont formels : ce document, comme la promesse de vente, sont des faux rédigés par le Morlaisien. Le mobile est tout trouvé et le procès a lieu à peine plus d'un an plus tard, dans une salle archi-comble. Empêtré dans ses contradictions - il a tenté d'acheter des témoignages -, Guillaume Seznec a le profil du coupable. Le 4 novembre 1924, il est condamné aux travaux forcés à perpétuité.
Qui était Guillaume Seznec ?
- Pourquoi rebondit-elle aujourd'hui ?
Pour les partisans de Seznec, la condamnation découle d'un complot. Parti en Guyane en 1927, le forçat survit à la fièvre et au désespoir. Il y apprend le décès de sa fille, puis de sa femme. En 1933, il refuse de signer une demande de grâce, affirmant qu'il n'y a "que les coupables qui demandent pardon". Treize ans plus tard, c'est un homme usé qui rentre finalement en métropole. Il meurt en 1953, mais ses descendants continuent de plaider pour une réhabilitation. Entre temps, la personnalité de l'inspecteur Bonny, fortement soupçonné d'avoir fait introduire la machine à écrire chez Seznec, et ses regrets d'avoir "fait envoyer au bagne un innocent", exprimés peu avant son exécution pour activités dans la Gestapo, ont jeté un doute sur l'enquête.
Jusqu'en 2006, 14 demandes en révision du procès sont déposées et rejetées. Mais en 2015, un ouvrage de l'écrivain et avocat Denis Langlois livre un témoignage inédit : celui de l'un des enfants du couple Seznec, âgé de 11 ans au moment des faits. "Petit Guillaume" se souvient avoir entendu sa mère repousser les avances d'un certain "Pierre", puis avoir vu Quémeneur par terre et sa mère debout devant lui. "Je crois qu'elle a dû se défendre et le frapper à la tête", raconte-t-il. En effectuant des fouilles à Morlaix, bénévoles et enquêteurs explorent donc la piste d'un meurtre commis par l'épouse du condamné, après une potentielle agression. Le conseiller général ne serait pas mort sur la route de Paris, mais sur ses terres finistériennes.
- Que va-t-il se passer maintenant ?
Les premières expertises réalisées sur les os devraient permettre de savoir, par exemple, s'ils appartiennent à un homme ou une femme. Impossible de dire pour l'instant si les restes sont suffisamment bien conservés pour réaliser un prélèvement ADN et le comparer à celui des descendants de Pierre Quémeneur. Dans l'hypothèse d'une correspondance, une procédure de révision du procès Seznec devrait être mise en route, 95 ans après les faits.
"Je suis troublé. Je suis dans l'attente des expertises officielles", a confié à Europe 1 Denis Seznec, petit-fils de Guillaume, lundi. En attendant la suite des investigations, le septuagénaire se montre prudent. "Il y a des choses étonnantes. Qui me dit que ceux qui cherchent à nuire ne l'ont pas déposé ?"
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