Carpaccio d'espadon, billet d'avion Paris-New York, nuit d'hôtel ou encore bouteille de lait, les initiatives pour remettre le consommateur au cœur de ses dépenses se multiplient. A l'instar de Carrefour qui a lancé une nouvelle marque de lait dont les prix ont été fixés par les consommateurs. Outre-Manche, où ce concept est bien plus répandu, on appelle ce système "Pay what you want". Autrement dit, payez ce que vous voulez. Dans ce type d'offre, le client donne la somme qu'il choisit pour le service qu'on lui rend. Un système aux principes solidaires mais qui n'est pas rentable dans tous les secteurs.
Un principe qui n'est pas encore entré dans les moeurs françaises. En France, c'est la plateforme de déstockage BrandAlley qui a importé ce concept. Pour se faire connaître, la marque lance une grande vente sur le principe du "Pay what you want". Seule contrainte, débourser au minimum un euro pour chaque vêtement acheté. Une opération qui a rencontré un grand succès alors que les pertes ont été très importantes pour la marque. Un sacrifice inévitable pour Pascale Hébel, directrice du pôle consommation et entreprise au Crédoc (centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie).
"Ce système fonctionne mal sur Internet parce que les gens y font des achats stratégiques. Ils cherchent les meilleures offres, les meilleures réductions." Les consommateurs ne sont pas dans une relation avec la personne qui leur offre ce service. Ils vont donc souvent payer le minimum. "D'autant plus que les Français n'ont pas la mentalité du don. Ils sont plutôt radins", rappelle la spécialiste. Elle considère que cette formule fonctionne mieux dans la restauration ou la vente de produits locaux car le client a affaire directement au serveur ou au producteur. "Il y a une sorte de contrôle social, on ne peut pas quitter la table sans payer."
Le succès est au rendez-vous. C'est effectivement l'expérience qu'a tentée Dorothée Thomine-Desmazures dans son restaurant parisien, Variations. "On avait une équipe de trois jeunes étudiants en école de commerce qui voulaient faire une nouvelle opération. Comme nous étions dans la première année de notre ouverture, on a trouvé le concept intéressant." Alors les étudiants font fonctionner leur réseau et le restaurant enregistre une centaine de couverts en deux services.
Et pour la restauratrice, pas question de proposer un menu au rabais, elle a simplement enlevé les prix de son ardoise. À la fin de la journée, elle a fait ses comptes. Le restaurant n'avait pas perdu d'argent. "On avait très peur que des gens en profitent pour bien manger à moindres frais mais ça a été le cas pour seulement deux ou trois petites tables". Des clients du quartier qui n'ont laissé que cinq euros. Mais la plupart du temps, les sommes données par les consommateurs étaient très proches du prix réel. "Ça nous a conforté dans l'idée qu'on avait fixé le juste prix", raconte Dorothée Thomine-Desmazures. Une réussite donc.
Une opération sans lendemain. Mais la professionnelle n'est pas dupe. "Même s'il vaut mieux remplir la salle comme ça qu'avec des gens qui viennent avec des réductions, on ne retentera pas l'aventure sans soutien." Car si l'opération a été une réussite sur le coup, cela ne lui a pas rapporté de nouveaux clients réguliers. Et sans communication comme celle que les étudiants ont mis en place, elle craint de ne pas rentrer dans ses frais. "Ça s'est bien passé, mais c'est une opération sans lendemain."
Pour Pascale Hébel, il s'agit avant tout de faire une opération pour se faire connaître. Mais le système n'est pas amené à perdurer dans le temps. "Cela ne peut pas être un modèle économique viable même si c'est une bonne manière de faire un coup marketing." De plus elle ajoute qu'il s'agit souvent d'une réaction à un événement économique. Pendant la crise, il s'agissait de permettre à tous de s'offrir un repas au restaurant. C'est pourquoi le lien social avec le restaurateur fonctionne mais ça ne peut être le cas sur une longue période.
Un système dans lequel le client est acteur. Pourtant, certains entrepreneurs en ont fait leur fonds de commerce. Fin 2014, Martin Chauvin lance Option Way, une agence de voyages qui propose aux clients de fixer le prix auquel ils sont prêts à acheter leurs billets d'avion. Dès que leur demande rencontre une offre, le site réserve les sièges. "Cela permet avant tout d'attraper de belles baisses de prix mais il faut être raisonnable". Certaines demandes peuvent être impossibles à satisfaire.
"En général, les clients demandent des réductions de 10 à 15% par rapport au prix moyen qu'on leur indique", explique le président et cofondateur de la start-up. Mais dans certains cas, les clients espèrent un prix de 35 à 40% en dessous des offres. "Alors qu'ils acceptent souvent les billets qu'on leur propose au-dessus du prix qu'ils ont demandé. Comme s'ils tentaient leur chance." Les clients ont alors l'impression d'être acteurs de leur achat. "On cherche à leur offrir une nouvelle façon d'exercer un peu leur pouvoir et d'économiser du temps". Deux impératifs qui correspondent aux nouveaux besoins des consommateurs.