"On nous met plus de contraintes et on nous dit 'démerdez-vous'": juchés sur leurs tracteurs, plus d'un millier d'agriculteurs ont défilé mercredi à Paris contre les restrictions d'usage des pesticides et d'autres contraintes, une première depuis plus de trois ans. Quelque 620 engins et 3.000 manifestants, selon le premier syndicat agricole, sont partis de la Porte de Versailles, encadrés par de nombreux policiers.
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Une décision du gouvernement a déclenché la colère des agriculteurs
"Ça me gonfle de venir en tracteur sur Paris", s'impatiente Mathieu Beaudoin, céréalier de 38 ans, à bord de son engin secoué par les pavés, avec la tour Eiffel en ligne de mire. Les agriculteurs doivent être irréprochables, mais la population "n'achète pas nos produits" et ne "veut pas payer plus", regrette-t-il. Déclencheur de la mobilisation : le 23 janvier, le gouvernement a renoncé à délivrer une dérogation permettant de recourir aux néonicotinoïdes pour la culture de la betterave sucrière, conformément à une décision de la Cour de justice de l'Union européenne saluée par les ONG environnementales.
Depuis quelques mois, les agriculteurs dénoncent aussi la hausse de leurs coûts face à la flambée des prix de l'énergie et réclament de pouvoir stocker de l'eau pour irriguer leurs cultures. Leur précédente mobilisation d'envergure, des opérations escargot sur le périphérique, remontait à novembre 2019, pour dénoncer un durcissement des règles concernant l'épandage de pesticides de synthèse.
Cette fois, c'est la section FNSEA du Grand Bassin parisien, rejointe par la fédération nationale et le syndicat des planteurs de betteraves CGB qui ont appelé à la mobilisation, jusqu'au 20 février dans toute la France. Après un pic de 425 km de bouchons en région parisienne vers 09h00 provoqué en partie par ce mouvement, les embouteillages cumulés se sont ensuite réduits pour n'être plus que légèrement au-dessus de leur moyenne habituelle en cette journée de grève à la SNCF. Grégoire Bouillant, céréalier de 40 ans se réclamant de l'agriculture "raisonnée", est parti vers 5 heures du matin de sa ferme du Val-d'Oise pour arriver, à 20km/h, à la Porte de Versailles, où se tiendra dans moins d'un mois le Salon international de l'agriculture. Il dénonce une "pression environnementaliste" et des "mesures qui ne cessent de s'empiler en notre défaveur".
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L'agriculture ne peut pas se passer de la chimie selon les manifestants
Juchée sur un conteneur garni de bottes de paille et de cagettes de pommes, la présidente de la FNSEA, Christiane Lambert, a affirmé que l'agriculture ne pouvait se passer de la chimie. "Jamais, il n'a été autant question de souveraineté alimentaire, jamais, il y a eu autant d'interdictions sans solutions", a-t-elle estimé. Drapeaux syndicaux et affichettes "mon métier respecte la nature, stop aux écologies abusives" ont fleuri sur les vitres des tracteurs pris en photo par de nombreux passants. Une trentaine d'élus, dont le président LR des Hauts-de-France Xavier Bertrand, étaient également présents. "Il n'est pas question de faire les mêmes conneries sur l'agriculture" que sur le nucléaire, a assené Xavier Bertrand depuis la tribune. Les agriculteurs s'apprêtaient à se disperser en milieu d'après-midi. Le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau a reçu dans la matinée une délégation de manifestants "pour échanger sur les défis auxquels ils sont confrontés et l'avenir des filières agricoles", selon un communiqué. Il réunira jeudi la filière betterave pour "présenter un plan d'actions et de soutien en réponse à la décision" européenne.
Selon Franck Sander, président du CGB, présent aux Invalides, le ministre a promis que les betteraviers recevraient une "indemnisation totale" en cas de perte de rendements due à la jaunisse, récoltant de maigres applaudissements. Les néonicotinoïdes, insecticides toxiques pour les abeilles interdits depuis 2018, bénéficiaient d'une dérogation depuis deux ans, ce qui permettait de les appliquer préventivement sur les semences de betteraves pour les prémunir de la jaunisse, propagée par des pucerons.
"Comme utilisateur de néonicotinoïdes, je n'ai pas l'impression d'empoisonner le monde", s'agace le cultivateur et militant syndical Damien Greffin, qualifiant la rencontre avec le ministre de "moyenne", avant de conclure : "rendez-vous au Salon de l'agriculture". La Confédération paysanne, troisième syndicat, a-t-elle déploré que certains manifestent "pour continuer à utiliser des néonicotinoïdes et refuser toute avancée écologique".