Va-t-il bientôt falloir payer pour entrer dans une grande ville en voiture ? Le projet de loi d’orientation sur les mobilités, qui doit être présenté en Conseil des ministres en novembre, prévoit en tout cas de donner la possibilité aux collectivités d’instaurer un péage urbain à l’entrée des agglomérations de plus de 100.000 habitants. Selon le texte, dévoilé mercredi par le site Contexte, le montant de ce "tarif de congestion" pourra s’élever à 2,50 euros pour les véhicules légers, et 10 euros pour les véhicules les plus lourds. Ces montants pourront même être doublés pour les villes de plus de 500.000 habitants (actuellement Paris, Marseille et Lyon en l’occurrence), soit un maximum de 5 euros par passage pour une voiture et 20 euros pour un camion.
Il reviendra aux collectivités en charge de la mobilité (les villes, les communautés de communes ou la Région, dans le cas de Paris) de décider ou non de la mise en place d’un tel péage, et d’en fixer les modalités. Le projet de loi leur donne la possibilité d'instaurer des tarifs réduits, voire la gratuité, pour certaines situations particulières, "notamment ceux dont le domicile ou le lieu de travail est situé dans la zone soumise à tarif de congestion". Objectif affiché : "limiter la circulation automobile et lutter contre la pollution et les nuisances environnementales". Mais ce type de dispositif peut-il vraiment fonctionner ?
Une mesure qui fait ses preuves dans certaines villes…
"Ces dispositifs ont fait leurs preuves. Après avoir étudié de très près les cas de Londres et de Stockholm, nous avons constaté une réduction considérable des bouchons, des temps de parcours, des accidents de la route mais aussi de la pollution atmosphérique", assure en tout cas la sénatrice Fabienne Keller (droite constructive), qui vient de rédiger un rapport sur le sujet, dans une interview au Parisien.
Dans plusieurs ville d’Europe, en effet, le résultat est largement positif, tant pour la circulation que pour la qualité de l’air. Milan, notamment, fait figure d’élève modèle. Baptisé "Area C", le péage instauré par la ville impose à tout automobiliste le paiement d’un ticket d’entrée de 5 euros, du lundi au vendredi de 7h30 à 19h30. Mis en place dans le centre historique et pour les seuls véhicules polluants en 2007, il a été étendu à tout le centre-ville depuis 2011, ainsi qu'à tous types de véhicules. Résultat, selon le Forum international des transports : le trafic a diminué de 28% en trois ans. L’usage des transports en commun a augmenté (+ 6,9 % pour le bus et + 4,1 % pour le tram). La part des véhicules propres est passée de 9,6 % à 16,6 %. Et les émissions de particules fines et de CO2 ont été réduites de 10% à 35%.
Stockholm, également, a mis en place en 2006 un péage, entre 1,10 et 1,30 euros en fonction de l'heure, pour diminuer son trafic. Et selon l'agence gouvernementale Transportstyrelsen, le nombre d'automobilistes traversant Stockholm a baissé de 20% depuis l’instauration de la zone de péage, passant de 106 millions d’automobilistes en 2005 à 81 millions. Et dans la foulée, les émissions de CO2 ont baissé de 9 à 14 % à Stockholm entre 2007 et 2009, selon les estimations.
… Un peu moins ailleurs
Mais contrairement à ce qu’affirme la sénatrice Fabienne Keller, le bilan n’est pas concluant partout. Équipé, depuis 2003, d'un péage à 8 livres (10 euros), Londres a ainsi, dans un premier temps, vu son trafic en centre-ville diminuer. Le nombre de voitures a baissé de 16% les cinq premières années dans la zone concerné par le péage. Mais le trafic s'est reporté sur les routes périphériques.
Résultat : la pollution ne diminue pas. "Malgré leurs efforts exhaustifs, les chercheurs n'ont pas trouvé de preuve solide d'amélioration de la qualité de l'air", concluait ainsi la Health Effects Institute (HEI), qui a mené, en 2011, la seule étude indépendante sur le sujet. En outre, comme le notait en 2014 l’Ademe, l'Agence française de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, le trafic a tendance a de nouveau augmenter dans la capitale anglaise, en raison d’une hausse globale de l’activité de la ville.
Une question de mentalité ?
L'une des explications pourrait résider dans la mentalité des habitants. À Milan, lors du référendum de 2011 visant à étendre le péage, 79,1 % des votants se sont déclarés favorables au système. Dans le Grand Stockholm, 67% des habitants sont satisfaits du péage, selon une enquête d’opinion du Centre d’études des transports suédois.
Mais à Londres, les automobilistes semblent ne pas vouloir délaisser leur voiture et préfèrent le périph. L'extension du péage à l'Ouest de la ville, en 2005, avait d'ailleurs suscité une immense controverse (seul 25% des Londoniens l'acceptaient, selon un sondage rapporté par le ministère des Transports). Quid de la France ? En 2008, un sondage TNS Sofres indiquait que seuls 32% des Français étaient favorables à une telle mesure. En 10 ans, les mentalités ont, toutefois, dû évoluer. Reste à savoir dans quel sens.
Un risque de ségrégation sociale ?
La maire de Paris Anne Hidalgo et la présidente de la région Île-de-France Valérie Pécresse ont d’ores et déjà fait savoir qu’elles n’étaient pas favorables à une telle mesure. "Je suis résolument contre. Cela couperait la région en deux en accroissant la fracture sociale et territoriale", dénonce cette dernière. C’est, en effet, l’un des principaux arguments des opposants aux péages urbains : ils pénaliseraient les habitants les plus modestes, qui habiteraient loin des centres-villes.
"Il faut adapter ces tarifs aux publics concernés", reconnaît dans Le Parisien la sénatrice Fabienne Keller, partisane des péages urbains. Et de poursuivre : "à Stockholm, les automobilistes qui gagnent plus de deux heures par jour en prenant leur voiture plutôt que les transports en commun, ceux qui roulent plus de 3.000 km par an pour leur travail et les véhicules de société peuvent déduire ces frais de péage de leurs impôts. C’est pour moi une condition indispensable […]. On peut aussi imaginer d’autres dispositifs qui seraient fonction des revenus".
Pour l’heure, aucune mesure de ce type n’est prévue par le gouvernement. Un chiffre, toutefois, permet de nuancer les inquiétudes des deux élues parisiennes : 65% des personnes qui circulent en voiture dans Paris font partie des catégories socioprofessionnelles dites "favorisées" (cadres, chefs d’entreprise, etc.), selon un sondage réalisé pour la Ville de Paris en septembre 2017.