Elles dénoncent une "carence fautive". Une dizaine de familles franciliennes, s'estimant "victimes de la pollution atmosphérique", ont annoncé cette semaine leur volonté de poursuivre l'Etat en justice. Vivant pour la plupart aux abords de grands axes, comme le périphérique ou le boulevard Magenta, à Paris, elles engagent une action en responsabilité "à l'occasion du dernier épisode de pollution", le plus intense depuis dix ans à Paris, mais aussi "compte tenu de l'inaction des pouvoirs publics ces dernières années". Les victimes, des adultes souffrant "d'épisodes de broncho-pneumopathie et hospitalisés en urgence à l'occasion du pic de pollution" et "des enfants en bas âge qui ont connu des difficultés respiratoires importantes" ont un point commun : ils souffraient déjà de problèmes de santé avant que le niveau d'alerte ne soit franchi. En cause, une pollution quotidienne moins médiatisée, que les médecins ne cessent de dénoncer.
48.000 morts prématurées par an. "Oui, les pics de pollution entraînent une aggravation des pathologies respiratoires, et surtout cardio-vasculaires", explique à Europe1.fr le docteur Gilles Dixsaut, président du comité francilien contre les maladies respiratoires. "A l'hôpital, on voit arriver des patients qui décompensent, notamment sous forme d'insuffisance cardiaque, et des asthmatiques qui ne vont pas bien", décrit-il. "Mais ce n'est pas nouveau : on l'observe depuis les années 30 et les pics de pollution dans les vallées de la Meuse, puis le Grand Smog de Londres." Des effets indéniables, mais "marginaux", renchérit Jean-Philippe Santoni, pneumologue bénévole à la Fondation du poumon. "Les problèmes de santé les plus importants dûs à la pollution de l'air s'inscrivent dans la durée."
Ces problèmes affectent principalement le système respiratoire, "le premier filtre affecté par la pollution", souligne le docteur Santoni. D'après des études récentes, environ 15% des nouveaux cas d'asthme sont par exemple liés à la pollution atmosphérique. "Mais la pollution est aussi un facteur de pathologies cardiovasculaires, et d'autres qui touchent le système nerveux", poursuit le médecin. Plus récemment, des effets sur la croissance chez l'enfant et la reproduction ont été observés, tandis que la recherche se penche sur des liens possibles avec le diabète. Au total, selon une étude publiée en juin par l'agence Santé publique France, la pollution de l'air cause chaque année 48.000 morts prématurés - c'est-à-dire de décès en surnombre par rapport à un niveau de pollution "zéro".
La campagne pas épargnée. Contrairement aux idées reçues, les effets de cette pollution rejetée notamment par l'industrie et les transports, ne se limitent pas aux agglomérations. "Le problème c'est qu'il n'y a pas de niveau sous lequel on n'observe aucune conséquence", diagnostique Gilles Dixsaut. "L'effet est cumulatif, depuis notre naissance, même avant. Les pics ne sont qu'une émergence au-dessus de la réalité quotidienne." D'après l'Agence Santé publique France, dans les zones urbaines accueillant entre 2.000 et 100.000 habitants, la perte d'espérance de vie due à la pollution est de 10 mois en moyenne. Dans les zones rurales, elle est estimée à 9 mois.
L'action en justice des familles, visant à "obtenir l'indemnisation des préjudices subis" et "faire reconnaître la responsabilité de l'Etat et de ses services", a-t-elle alors de bonnes chances d'aboutir ? Rien n'est moins sûr. Si le lien entre les pathologies contractées et la pollution est "avéré" d'après l'avocat des malades, les médecins se montrent plus prudents. "Il y a des facteurs confondants", explique Jean-Philippe Santoni. "Un sujet fumeur, atteint d'un cancer broncho-pulmonaire, est-il malade à cause du tabac, ou de la pollution ?" Pour essayer d'isoler les responsables, des études épidémiologiques sur des personnes suivies dans le temps sont menées. "Mais ce n'est pas facile car la pollution se déplace, notamment avec le vent", soulève le pneumologue.
"Changer les paradigmes, les modes de vie". Autre écueil : la notion de responsabilité quant à ces risques, "partagée", à en croire les spécialistes. "La pollution est à la fois le résultat de comportements individuels et d'actions collectives néfastes", estime Jean-Philippe Santoni. "Cela fait plus de vingt ans que les pouvoirs publics ne tiennent pas compte des études scientifiques. Mais il faudrait aussi changer les paradigmes, les modes de vie", abonde Gilles Dixsaut, évoquant une transition vers des véhicules électriques et la fin du chauffage aux énergies fossiles. "Toute mesure efficace prendra du temps." Une précédente action contre l'Etat, intentée au pénal en 2014 par deux associations, avait été classée sans suite.