"Pour l'instant on les garde mais on ne sait pas combien de temps", plaisante Alain en montrant à ses clients l'autocollant EDF qui figure sur chacun des casques de sa base nautique. Le groupe qu'il mène aujourd'hui depuis Quillan avait réservé pour une sortie en rafting, sauf que le débit est loin d'être suffisant pour pratiquer. Il faut donc se rabattre sur du canoë. "On a trouvé une activité de remplacement pour aujourd'hui", explique Alain de Sud Rafting.
Le conflit ukrainien mobiliserait l'ensemble des ressources hydroélectriques
"On va essayer de faire ce parcours-là. On s'adapte comme on peut, avec des embarcadères et des débarcadères qui ne sont pas trop prévus pour ça. On bricole, on essaie tant bien que mal de sauver notre début de saison". S'il manque de l'eau c'est en partie à cause de la sécheresse mais aussi parce que l'Etat a choisi de limiter les lâchers d'eau pour assurer la production électrique au niveau des barrages EDF. Fin avril, lors d'une réunion en préfecture, Didier Astre, qui dirige la base Eaurizon à Puichéric et qui est aussi l'un des représentants de la quinzaine de loueurs installés le long de l'Aude, a appris qu'il n'y aurait pas de lâcher ce printemps.
Hors Covid, une convention prévoit habituellement une quinzaine de lâchers pour le début de saison. Des périodes de six heures consécutives où le barrage ouvre les vannes pour assurer un débit de 7m3 nécessaire à la pratique du rafting ou de l'hydrospeed. "La raison principale invoquée est le conflit ukrainien, qui mobiliserait l'ensemble des ressources hydroélectriques nationales", précise Didier Astre.
"C'est très difficile à expliquer aux clients"
"On sortait de quatre années de tunnel après le Covid mais aussi des inondations historiques qui ont dévasté le département de l'Aude en 2018", décrit Didier Astre. "On était excessivement content de pouvoir exercer de façon normale, enfin, cette année. Les prévisions étaient au beau fixe en terme de fréquentation, le carnet de commande se remplissait mais à court terme c'est catastrophique". Beaucoup sont obligés d'annuler des groupes. Alain de Sud Rafting passe ses journées à expliquer que l'activité réservée ne pourra pas se dérouler comme prévu. "On n'a pas de réponse à donner à notre clientèle de printemps", se désole-t-il.
Sylvain de Pyrène qui travaille à Azat, plus en amont, s'est retrouvé dimanche dernier dans une situation délicate avec des clients. "Il était prévu un niveau correct pour la pratique du rafting", raconte-t-il. "J'ai accueilli les gens, on les a mis en tenue, on les a mis dans le camion, mais au départ il n'y avait pas d'eau. C'est très difficile à expliquer aux clients", concède ce professionnel en colère. Il a décidé d'annuler tous ses groupes cette semaine : "Je me sens trop mal pour les gens. Ce n'est pas à eux de subir ça".
Des lâchers prévus en juillet et en août
La préfecture explique qu'en raison de la fonte des neiges le débit est suffisant pour pratiquer les sports d'eaux-vives. Elle précise que si aucun lâcher n'est prévu ce printemps, ils seront quotidiens, comme chaque année en juillet et août pour la haute saison touristique. Mais beaucoup de professionnels s'inquiètent pour l'avenir de leurs entreprises et même de cette activité alors qu'ils ont déjà recruté des saisonniers. "L'Aude est l'un des rares cours d'eau dans la région qui peut proposer une activité rafting de qualité. Au même titre que le vent sur le littoral, ça draine pas mal de clientèle uniquement pour cette activité", rappelle Didier Astre.
"On participe à la chaîne touristique au même titre que la restauration et l'hébergement. Il ne faudrait pas tout déstabiliser". Eux réclament de se remettre autour de la table pour négocier des économies d'eau. Il se disent même prêts à réduire d’une heure la durée des lâchers cet été, ce qui permettrait d'économiser un million de m3 d'eau, afin d’assurer ce début de saison de printemps.