Le 7 novembre dernier s'ouvrait à Marseille le procès des effondrements de la rue d'Aubagne. Ce drame, qui a fait huit morts après que deux immeubles se soient écroulés en 2018, met en lumière des conditions indignes de logement. Ce vendredi, les témoignages des proches des victimes ont bouleversé l'audience.
Simona Carpignagno leur avait dit ne pas s'inquiéter, qu'elle allait déménager, mais ses parents la suppliaient : "laisse tout et va-t'en". Leur récit a bouleversé vendredi au procès des effondrements meurtriers d'immeubles de la rue d'Aubagne à Marseille qui s'est ouvert le 7 novembre dernier . Au total, huit personnes ont perdu la vie dans ce drame, survenu le 5 novembre 2018, et qui avait provoqué une vague d'indignation.
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"Elle a été trahie dans ses valeurs"
Maria et Domenico Carpignagno se tiennent serrés l'un contre l'autre sur le banc des parties civiles depuis six jours d'audience devant le tribunal correctionnel. Cheveux blancs, presque la même couleur discrète de pull, ils ont approché la barre pour raconter en italien le parcours de leur fille. Son portrait gaiement entouré de fleurs est alors diffusé sur la dizaine d'écrans de la salle, face à un public nombreux et la plupart des 16 prévenus, dont l'ex-adjoint au maire Julien Ruas, qui n'avait été que peu présent depuis le début.
Simona était surnommée "sorriso" (sourire) par tous, de ses Pouilles natales à Marseille, où elle vivait depuis deux ans, jusqu'à ce funeste 5 novembre 2018 où elle perdit la vie dans l'effondrement de son immeuble dégradé. Elle hébergeait cette nuit-là un ami, Pape Magatte Niasse, lui aussi décédé.
Elle avait 30 ans, venait d'empocher un master en France pour devenir entrepreneure en économie sociale et solidaire. "Elle a été trahie dans ses valeurs, elle cherchait le respect de la dignité de l'être humain", avance sa mère. Quand ces Italiens ont découvert son immeuble et le quartier populaire de Noailles, "c'était comme un choc", "ça ne correspondait pas à l'idée qu'on se faisait d'une habitation".
Ils décrivent "l'odeur de toilettes publiques" dans le hall qui ne fermait pas, les carrelages dans son appartement qui se brisaient, l'escalier qui penchait. "On lui a dit: +laisse tout, tes vêtements dedans et va-t'en, on va tout te racheter". Mais elle leur a répondu, confortée notamment par la visite de l'expert Richard Carta le 18 octobre, lui aussi poursuivi dans ce dossier: "les gens compétents nous ont assuré que ça n'allait pas s'écrouler mais ne vous inquiétez pas, je vais déménager".
"Pas fan que mon père habite ici"
Eux n'ont pas cité à comparaître la propriétaire de leur fille, contrairement à d'autres familles. "Elle s'est tournée vers le syndic, elle a répercuté les difficultés de sa locataire", a expliqué leur avocate, Me Céline Lendo, en marge de l'audience. Concernant les prévenus, le père de Simona dit : "je ne me sens pas de juger". Mais il souligne le "peu" de compassion qu'ont témoigné les mis en cause, qui ont contesté en bloc leur éventuelle responsabilité. Dans la salle, le public applaudit, ce qui est normalement proscrit dans un tribunal. Le président Pascal Gand, qui avait expliqué avoir conscience du traumatisme que ce drame avait représenté pour la deuxième ville de France, ne relève pas.
Puis arrive à la barre Léo, jeune homme de 26 ans, fils d'une autre victime, Fabien Lavieille, mort à 55 ans. "Un gentil, peut-être un peu trop gentil", proche du groupe Massilia Sound System et qui avait le statut d'adulte handicapé après avoir été exposé à de l'amiante.
"J'étais pas fan que mon père habite ici", raconte-t-il. Il avait bien entamé des démarches pour obtenir un logement mais n'avait pas réussi à obtenir de réponse de l'organisme social censé l'accompagner. Donc son père s'est débrouillé pour trouver ce petit appartement au 65 de la rue d'Aubagne. Il ne se plaignait pas, se contentait de peu.
Dans son grand pull gris, une fine moustache barrant son visage, Léo raconte aussi que dans cet appartement il y avait "beaucoup d'objets, d'oeuvres" de ses parents et notamment de sa mère artiste, décédée quand il avait 8 ans. C'est une "perte de mon histoire", lâche-t-il, dégageant une force calme.
Depuis septembre et l'approche du procès, il est suivi par un psychologue. Car il se pose des questions et a "vécu beaucoup beaucoup de choses" dans sa courte vie. Après le procès, il retournera à Paris, où sa vie l'attend et où il travaille dans la musique après deux masters.