"Je suis le père de Jonathan Sandler, le grand-père d'Arieh et de Gabriel". Samuel Sandler n'a prononcé qu'une phrase et la cour est suspendue à ses lèvres. Depuis le début du procès d'Abdelkader Merah, jugé pour complicité des tueries de son frère Mohamed, le septuagénaire s'assoit chaque jour sur le banc des parties civiles. En cette quatrième semaine d'audience, pour son témoignage devant la cour, il a mis une veste de costume et une cravate. Accroché à la barre, droit comme un "i", le petit homme s'exprime parfaitement. Il poursuit.
Une petite fille "survivante". "Quand j'étais enfant, je jouais avec des soldats de plomb. Mes parents me disaient de faire attention à un petit soldat en particulier, parce qu'il appartenait à mon cousin Jeannot, qui habitait au Havre", raconte Samuel Sandler. "En mars 1943, la police est venue arrêter Jeannot, qui est parti vers les camps de la mort. Et pendant des années, j'ai été hanté par cette injustice. Mais je me suis consolé en me disant qu'en France, jamais plus on ne tirerait sur des petits parce qu'ils sont juifs. Jusqu'au 19 mars 2012…."
Le témoignage est court. Samuel Sandler n'évoque pas les conséquences du drame sur sa vie, son traumatisme. Il a un mot pour chacun de ses proches tués ce jour-là. Jonathan, "qui était ravi de venir enseigner à Toulouse", Arieh, "un petit garçon sage qui faisait le bonheur de ses grands-parents", et Gabriel, "que j'appelais monsieur Coca-Cola parce qu'il adorait ça." Ému mais concentré, le témoin évoque aussi sa petite-fille, "la survivante" : "Quand elle prend l'avion, elle se dit qu'elle se rapproche un peu de son père."
"Un petit Eichmann des quartiers". Et puis, sans hausser la voix, Samuel Sandler évoque Mohamed Merah. "L'assassin de mes enfants était fier de ses actes, il les a filmés. Depuis ce jour-là, c'est une souffrance d'entendre son nom pour toutes les victimes. Moi je ne le prononce pas, ce serait lui donner une once d'humanité." Sans regarder le box, d'où Abdelkader Merah ne le quitte pas des yeux, le témoin glisse son avis : "Son frère est pour moi un maître à penser, un maître à tuer. Un petit Eichmann des quartiers."
A la demande du président, Samuel Sandler donne des nouvelles de sa belle-fille, "remariée" et qui vit désormais à Jérusalem, où sont enterrés son mari et ses enfants. En les évoquant à nouveau, le grand-père interroge : "Comment exécuter un enfant avec une tétine à la bouche ? C'est le mal absolu."