Le nouveau ministre de l’Education nationale entend-t-il réformer les méthodes d’enseignement au collège ? Non, il veut donner plus d’autonomie aux établissements en la matière. Veut-il revenir sur les rythmes scolaires ? Non, ce sera aux communes et aux écoles d’en décider localement. La durée des vacances ? Idem. "Ce que nous faisons, c'est donner la possibilité, surtout pour la rentrée 2018, d'ouvrir le choix entre différentes formules", a défendu Jean-Michel Blanquer, mardi sur Europe 1. Donner le choix plutôt qu’imposer une réforme venue d’en haut : dans la foulée des promesses d’Emmanuel Macron durant la campagne, Jean-Michel Blanquer veut faire de "l’autonomie" des acteurs locaux la pierre angulaire de sa politique. Mais est-ce vraiment efficace ? Les avis sont partagés.
L’autonomie à l’école, ça veut dire quoi ? Au collège, chaque établissement aura le choix, ou non, de rétablir les classes bilangues, les parcours européens ou de mettre en œuvre des Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI), ces enseignements mêlant plusieurs matières autour d’un seul projet. "Chaque établissement pourra inventer son projet éducatif. Et nous aiderons les plus en difficulté", indique Jean-Michel Blanquer. Comme l’a promis Emmanuel Macron durant la campagne, tous les trois ans, chaque collège et chaque lycée bénéficiera d’un diagnostic de la politique éducative mise en œuvre, conduit par le chef d’établissement en partenariat avec les enseignants et les parents. Ce bilan sera transmis au rectorat, et les objectifs (et les financements) seront ajustés en faveurs des résultats. Les établissements qui réussissent le mieux pourront poursuivre la voie qu’ils se sont eux-mêmes choisis, les autres seront davantage accompagnés par l’Etat.
Concernant les rythmes scolaires, le ministre de l’Education veut adopter la même philosophie : la décision au niveau local. Pour établir la durée des vacances scolaires et le rythme de cours hebdomadaire, les communes devront se concerter avec les écoles, avant d’émettre une proposition au rectorat qui devra valider. "Toute notre philosophie sera d’être plus près du terrain", commente Jean-Michel Blanquer sur Europe 1. "L’idée sera de ne pas changer là où ça fonctionne bien. Et là où il y a des difficultés, les établissements auront une nouvelle liberté" pour s’adapter.
" Cela permet d’écouter davantage les acteurs de terrain "
Les proviseurs enthousiastes… Du côté des chefs d’établissement, cette marche vers l’autonomie est accueillie avec enthousiasme. "Aujourd’hui, on a des milliers de circulaires de recommandations, et zéro contrôle. Personne ne s’intéresse à ce qui se passe vraiment dans les établissements, sauf lorsque les professeurs ou les parents font grève. Il faut donc moins de recommandations, et plus de contrôles a posteriori. Tous les pays qui misent sur cette forme d’autonomie réussissent" (voir encadré), défend ainsi Philippe Tournier, secrétaire général du SNPDEN. "Cela permet d’écouter davantage les acteurs de terrain, les chefs d’établissement mais aussi les parents et les enseignants. Aujourd’hui, les choix sont faits par des acteurs beaucoup trop éloignés. Et on commence à se rendre compte que les acteurs locaux ont un avis !", poursuit Philippe Tournier, contacté par Europe 1.
… Les parents et les enseignants, un peu moins. Cette nouvelle philosophie ne fait, toutefois, pas l’unanimité. Les plus sceptiques se trouvent du côté des parents d’élèves, qui redoutent une "école à plusieurs vitesses", selon les termes de la FCPE. Dans un communiqué, la première fédération de parents d'élèves avoue "s'inquiéter de la territorialisation de l'éducation" et d’une réforme qui risque de donner "toute latitude aux chefs d’établissements" dans l’élaboration des calendriers, le recrutement des enseignants ou l’élaboration des projets pédagogiques.
Chez les enseignants, la possibilité de revenir à la semaine de quatre jours ou sur les projets interdisciplinaires est globalement saluée. Peu consultés, mal préparés à ses réformes, beaucoup d’enseignants avaient freiné des quatre fers lors de leur mise en œuvre. Mais comme les parents, ils s’inquiètent d’une réforme qui risque de confier trop de pouvoirs aux chefs d’établissements, et d’enlever de l’autonomie aux enseignants dans la construction de leurs cours. La FSU, premier syndicat du secteur, s’est dite méfiante vis-à-vis de "cette valorisation de l'autonomie" risquant d’entraîner de la "concurrence".
Dans Les Echos, Stéphane Crochet, secrétaire général du SE-UNSA, résume le mieux les principales inquiétudes. "Le projet (proposé par Jean-Michel Blanquer) conduirait à ne proposer que du soutien à certains élèves, et que des projets interdisciplinaires à d'autres, comme si les élèves fragiles n'avaient pas besoin de ces projets concrets destinés à comprendre à quoi servent les disciplines". Lui ne croit pas à l’équation : on laisse libre ceux qui réussissent et on aide ceux qui échouent. "Les moyens donnés aux établissements pour faire des dédoublements de classe ou de la co-intervention seront très vite mangés par la création de classes bilangues en 6è ou le renforcement du latin" dans les établissements qui le souhaitent.
" Le risque est de laisser fleurir les idées les plus farfelues ici ou là "
Les experts sont divisés. Comme au sein de l’Education nationale, les experts se montrent divisés sur la question de l’autonomie laissée aux acteurs locaux. France Stratégie, un organisme rattaché à Matignon, publiait en décembre dernier un rapport dénonçant les "impasses" du "pilotage centralisé". À l'instar d'Emmanuel Macron, le groupe d’experts imaginait un modèle où les chefs d’établissement auraient "une latitude d’action plus significative qu’aujourd’hui : autorité en matière d’organisation de l’enseignement et de pédagogie, plus grande autonomie financière et de gestion" etc. Il appelait aussi à "valoriser le temps de suivi des élèves et des projets" des enseignants.
Pour d’autres, toutefois, une telle réforme est loin d’être une solution miracle. "Je suis assez réticente concernant cette frénésie de la décentralisation", confie ainsi à Europe 1 la sociologue Marie Duru-Bellat. "Je pense que les têtes pensantes de ce projet ne se rendent pas compte de la profonde diversité des écoles en France. Le risque est de laisser fleurir les idées les plus farfelues ici ou là. Il faut que l’Etat puisse apporter un regard extérieur. C’est une bonne chose de vouloir faire confiance aux acteurs locaux. Mais si une idée fonctionne localement, pourquoi ne pas vouloir l’appliquer à tout le monde ?", s’interroge la co-auteure de 10 propositions pour changer d'école. Et de conclure : "Je ne vois pas ce que cela va apporter. Les enseignants ont déjà beaucoup d’autonomie pour élaborer leurs méthodes de travail".
À l'étranger, des résultats contradictoires
Pour trancher le débat, difficile de s'appuyer sur les résultats de ses voisins. Car sur cette seule question de l'autonomie, on observe des résultats contradictoires. Dans une majorité de pays de l'OCDE (60%, selon France Stratégie), les établissements disposent d'une autonomie dans le choix des méthodes d'enseignement et du matériel. Dans une quinzaine de pays, les établissements choisissent même les enseignants et peuvent les mettre à pied. Mais tous n'arrivent pas aux mêmes résultats.
En Suède, par exemple, l’Etat a délégué la quasi-totalité de ses prérogatives aux communes et aux chefs d’établissement. Résultat : le niveau des élèves a drastiquement baissé et les communes peinent à recruter des enseignants, qui ont perdu en autonomie tout en subissant plus de pression. Mais en Finlande, où l’Etat a également laissé une large autonomie aux établissements (tout en revalorisant les enseignants), le niveau des élèves a bondi dans les classements internationaux et rares sont ceux qui remettent en cause le système aujourd’hui. Les Pays-Bas, peut-être le pays qui laisse le plus d'autonomie à ses établissements, stagne entre la 11e et la 15e place du classement PISA. Un résultat jugé décevant localement, mais qui reste bien mieux que celui de la France (entre la 15e et la 20e place).