Faut-il frapper les clients de prostituées au porte-monnaie pour lutter contre la prostitution ? C'est ce que prévoit la proposition de loi socialiste votée par l'Assemblée nationale mercredi soir en troisième lecture. Le texte sanctionne en effet l'achat d'actes sexuels d'une contravention de 1.500 euros. En revanche, il supprime le délit de racolage passif.
Une précarisation des prostituées. L'objectif est d'inverser la charge pénale pour ne plus pointer du doigt la personne prostituée, mais son client. Cependant, cette disposition pourrait avoir des effets pervers, selon Esther Benbassa, sénatrice membre d'Europe Ecologie-Les Verts. "Tous les rapports montrent que la pénalisation des clients va entraîner une précarisation des prostituées au nom d'une morale du 19e siècle qui n'a plus cours aujourd'hui", estime l'élue au micro d'Europe 1. "La pénalisation des clients est gênante. C'est une société punitive." Un argument balayé par Chantal Jouanno, sénatrice UDI. "Le client qui va voir une jeune femme au fond des bois ou dans une chambre sordide contribue à financer les réseaux de proxénétisme", rappelle la porte-parole du parti centriste.
Abolitionnistes contre réglementaristes. Derrière ces divergences de point de vue sur la question de la pénalisation des clients apparaît en réalité une fracture entre les abolitionnistes, dont fait partie Chantal Jouanno (mais aussi la ministre de l'Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, qui a présenté la proposition de loi lorsqu'elle s'occupait du Droit des femmes), et les réglementaristes. Ces derniers, comme Esther Benbassa, sont favorables à une reconnaissance du métier de prostituée, qui doit être fortement encadré afin d'éviter le proxénétisme. "Il ne faut pas confondre la traite des femmes et les prostituées qui sont à leur compte", résume la sénatrice EELV. Pour Chantal Jouanno, néanmoins, la légalisation "n'empêche pas les réseaux de prospérer" et ne réduit pas la prostitution. La centriste prend l'exemple de l'Allemagne, où "il y a 200.000 prostituées recensées dans des maisons closes", quand on estime qu'elles sont entre 20.000 et 40.000 en France. Les abolitionnistes mettent également souvent en avant le faible pourcentage de personnes qui se prostituent de leur plein gré.
Un marathon législatif. La proposition de loi votée mercredi doit encore effectuer un passage devant le Sénat. Si celui-ci n'adopte pas le texte, l'Assemblée aura le dernier mot d'un très long parcours parlementaire. La proposition de loi avait en effet été présentée pour la première fois fin 2013. Adoptée en première lecture à l'Assemblée, elle n'avait été inscrite à l'agenda du Sénat que 18 mois plus tard. Les sénateurs, majoritairement de droite, l'avaient entièrement détricotée. Un autre aller-retour législatif plus tard, une commission mixte paritaire avait échoué. Le troisième passage devrait s'achever au printemps.