A la demande d'Elisabeth Borne, l'inspection du travail renforce ses contrôles dans les entreprises pour veiller au respect du protocole sanitaire. Mais comment se déroulent les visites de contrôle ? Europe 1 a suivi un inspecteur dans des locaux regroupant 250 personnes dans le Val-de-Marne. Voici le récit de notre immersion.
Contrôles inopinés
Le rendez-vous est donné à 9h devant cette entreprise de Charenton. Un défilé de camions anime le devant de l’usine qui fabrique des boissons, du Rhum et du jus de fruits. Mais ce qui intéresse l’inspecteur du travail Jean-Noël Pigot aujourd’hui, ce sont surtout les bureaux, juste au-dessus. A son arrivée, il se présente à l’accueil. Personne n’attend sa visite, c’est le principe, il ne fait que des contrôles inopinés pour vérifier la situation en temps réelle.
D’ailleurs, quand l’attente dépasse 10 minutes, il y a toujours des soupçons de dissimulation mais ce n’est pas le cas ce matin. Le responsable des ressources humaines descend rapidement, l’accueil est cordial. À la demande de l’inspecteur, ce dernier est très vite rejoint par les délégués du personnel et le référent Covid-19. La visite peut commencer.
Une entreprise modèle
C’est le pas assuré que le responsable des ressources humaine entraîne l’inspecteur du travail vers le premier étage. "Vous voyez, pour l’accès à la cantine, nous montons par ici, et la descente se fait par un autre escalier". "Mais il n’y a pas de fléchage ?", interroge Jean-Noël Pigot. "Si, juste derrière vous". Un point pour l’entreprise.
A la cantine, des plexiglas séparent chacune des tables. Dans les couloirs, les salariés circulent masqués. Les distributeurs de gel hydroalcoolique sont bien présents à côté des imprimantes. L’inspecteur du travail observe, note, questionne. Jusqu’ici, le protocole coche toutes les cases du bon élève.
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Jusqu’au point noir sur le télétravail
Mais, à l'arrivée sur le plateau du service comptabilité, les sourires se crispent. "C'est un bureau pour combien de personnes ?" interroge l'inspecteur. "16" répond le responsable RH. Et là, chacun se met à compter le nombre de salariés présents qui va, de toute évidence, bien au delà des règles en vigueur. Jean Noël Bigot note "12" et demande une explication, puisqu'il s'agit de postes télétravaillables.
Des explications, il y en a plusieurs selon le responsable des ressources humaines. D'abord, l'entreprise a subi une violente cyberattaque et elle a encore beaucoup de mal à s'en remettre. Et puis, aujourd'hui, il y a du monde, mais hier, les salariés étaient beaucoup moins nombreux. L'entreprise a d'ailleurs un logiciel spécifique pour noter les jours de présence et de télétravail. L'inspecteur veut bien le vérifier ultérieurement. Enfin, le vrai problème est que les salariés n'ont pas envie d'être en télétravail.
"Ce qui est difficile c’est de se débrouiller"
C’est là que commence toute la complexité de la réalité de terrain. Et c’est là qu’arrive le PDG pour participer aux échanges. "Nous sommes ici sur un site de production, les équipes ont besoin d’échanger au quotidien avec les ouvriers, c’est la continuité de l’entreprise qui en dépend ou alors on ferme", explique-t-il avant de s’agacer : "Vous mettez ça sur un plan théorique, trois ou quatre jours par semaine et débrouillez-vous, mais c’est de se débrouiller qui est difficile."
Immédiatement l’inspecteur du travail saisit la perche : "Justement, nous ne sommes pas forcément là uniquement pour sanctionner mais aussi pour vous aider à trouver des solutions."
Mettre des plexiglas entre les bureaux n’est clairement pas une solution, selon l’inspection du travail. Si des salariés sont indispensables dans l’entreprise, il vaut mieux les repartir pour respecter les gestes barrières. C’est aussi la responsabilité de l’entreprise d’exiger du télétravail de la part des salariés qui ne souhaitent pas rester chez eux.
Justement en profite le responsable des ressources humaines
La direction de l'entreprise s'interroge : "Est-ce que nous devons mettre tout le moyens nécessaires à disposition des salariés ? J’ai les factures de clés 4G, d’ordinateurs portables… Ou est-ce que nous devons exiger de salariés qu’ils télétravaillent ?". Là encore, c’est le dialogue qui prime : la règle est d’exiger des jours de télétravail, comme l’entreprise exige de porter le masque ou de respecter le sens de circulation. Mais il n’est pas question non plus de rajouter un risque psychosocial au risque de contamination.
Alors sanction ou pas sanction ?
Certes le télétravail n'est clairement pas dans l'ADN de l'entreprise ici, mais le PDG reconnaît qu'ils peuvent aller plus loin qu’aujourd’hui. Après une heure d’échange, l’un des représentants du personnel reconnaît avoir lui aussi beaucoup appris durant cette matinée. Il refusait le télétravail jusqu'à présent mais prend conscience qu'il s'agit peut-être d'une responsabilité collective.
Pour l'inspecteur Jean Noël Pigot, le message essentiel est passé. Il va maintenant rédiger son rapport qui sera envoyé par courrier. Pour la suite, il prévoit un nouveau contrôle dans les semaines qui viennent. Et d'ici-là, soit il aura un nouveau levier, une amende de 500 euros par salariés, soit le protocole aura déjà été levé.