Montée du Front national, augmentation des actes antimusulmans, persistance de l'antisémitisme, conflits à Calais autour de l'accueil des réfugiés… Au regard de ces paramètres, la conclusion de l'enquête 2016 sur le racisme en France, publiée lundi par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), a de quoi surprendre. "L'indice de la tolérance" des Français révélé par cette enquête "marque une nette progression" (+5 points), après quatre années de baisse suivies d'une stabilisation en 2014. Cela "vaut pour l'ensemble des groupes, qui semblent mieux acceptés". Constat "pour le moins étonnant", commente encore la CNCDH. Comment expliquer une telle montée de la "tolérance" dans l'opinion publique ? Décryptage.
Quelle est la méthode ? Pour ses enquêtes, la CNCDH fait appel à des instituts de sondage, qui posent 69 séries de questions à un panel d'un millier de personnes, représentatif de la population française. Les réponses de fin 2015, celles publiées lundi, ont été comparées à celles posées depuis 1990. Le type de questions posées ? "Les gens du voyage", "les noirs", "les musulmans", les "Roms", "les juifs" de nationalité française "sont-ils des Français comme les autres ?", "Il y a-t-il trop d’immigrés en France" ou encore "certains comportements peuvent-ils parfois justifier des comportements racistes ?". En fonction des réponses, la CNCDH met une note globale sur 100 à l'opinion publique, réalisant un indice dit "longitudinal" de tolérance. Plus les Français se montrent tolérants dans leurs réponses, plus la note est élevée.
" La société française refuse les amalgames "
Comment s'est traduite cette tolérance en 2015 ? Pour cette dernière enquête, la CNCDH met donc une "note" de tolérance de 64 à l'opinion publique, soit cinq points de plus qu'un an plus tôt, et huit de plus que fin 2013. Et c'est surtout la deuxième meilleure année depuis 26 ans, après l'année 2007-2008 (66). Le plus bas a été constaté en 1990 (49) et n'a plus jamais été atteint depuis.
Toutes les minorités semblent de plus en plus "tolérées". En effet, la tolérance à l'égard des "juifs" (82, +4), des "noirs" (79 +7), des "maghrébins" (69, +12) et des "musulmans" (62, +7) augmente, selon cette étude. Même si les Roms restent particulièrement rejetés par l'opinion publique, avec un indice de 34 (en hausse tout de même de huit points sur un an).
Autre enseignement : 53% des Français ne se disent "pas raciste" du tout (+10% sur un an), même si 23% des sondés se qualifient de "pas très raciste", 19% "peu raciste" et 5% "plutôt raciste". 8% des Français estiment encore qu'il existe une "race" supérieure aux autres, un chiffre en baisse de 6%. "Il semble que, depuis la récente vague d'attentats et malgré le discours de certaines personnalités publiques, la société française refuse les amalgames et valorise l'acceptation de l'autre", s'enthousiasment en tout cas les auteurs du rapport.
Comment expliquer ces résultats ? Les attentats qui ont endeuillé la France en 2015 semblent avoir poussé les Français à davantage d'ouverture, note la CNCDH. "Les situations d'anxiété amènent à remettre en cause les modes de pensées et facilitent le réexamen critique", explique le rapport. "Il semble y avoir vraiment eu une réaction de fraternité, de solidarité après les attentats. Les gens ont pris conscience que cela peut atteindre n'importe qui", poursuit au micro d'Europe 1 Nonna Mayer, chercheuse émérite à Sciences Po et co-auteure du rapport. "Il est aussi en train de se passer quelque chose chez les sympathisants de droite (leur tolérance progresse de neuf points). La montée de la popularité d'Alain Juppé, perçu comme plus rassembleur que Nicolas Sarkozy, a pu jouer dans le bon sens", analyse également la politologue, d'après qui le FN se montre aussi moins séduisant.
" Les actes violents correspondent à une logique à part "
La France est-elle si tolérante que ça ? La CNCDH constate toutefois certaines formes de contradictions dans les réponses des Français. 58% des Français trouvent ainsi qu'il y a trop d'immigrés en France, mais 68% estiment que leur présence est une source d'enrichissement culturel, et 79% pensent que les travailleurs immigrés doivent être considérés comme chez eux. En outre, et surtout, si la tolérance semble gagner du terrain dans les esprits, elle ne semble pas se confirmer dans les actes.
Les faits antimusulmans ont triplé en France et les préjugés antisémites ont persisté, avance encore la Commission nationale consultative des droits de l'Homme. Les chiffres du ministère de l'Intérieur sur les faits délictueux (actions et menaces) à caractère raciste, antisémite et antimusulman sont globalement en "hausse conséquente" de 22,4%, de 1.662 en 2014 à 2.034 en 2015, "sommet jamais atteint depuis que ces statistiques sont relevées", regrette-t-elle dans le rapport. Les faits antimusulmans ont, à eux seuls, plus que triplé (+223%). Et ces chiffres ne prennent en compte que les dépôts de plainte. Enfin, si l'antisémitisme semble baisser, les Juifs n'en restent pas moins une cible prioritaire : la population juive, qui représente moins de 1% de la population totale, est la cible de 40% des actes racistes commis en France (contre 51%) en 2014.
Comment expliquer cet écart entre l'opinion et les actes ? "Les actes violents correspondent à une logique à part", analyse Nonna Mayer. "Ils sont le fait d'une minorité, de gens ont souvent un profil bien particulier : des jeunes hommes, souvent connus pour de la petite délinquance. S'y rajoute parfois la défense d'une 'noble cause', comme défendre la France contre 'les Arabes' ou 'les Juifs'. Le tout pouvant être corrélé au traitement médiatique des conflits au Proche-Orient", détaille la politologue. Qui conclut tout de même, optimiste : "L'opinion reflète l'ensemble de la société. Et c'est primordial car cela reflète ce qui est interdit et permis dans la société. Je trouve ça important de constater que l'idée d'un rejet des autres est en recul".