Pourquoi l'expulsion des étrangers radicalisés est-elle difficile à mettre en œuvre ? La mort de Samuel Paty, assassiné par un fils de réfugiés tchétchènes, inconnu des services de renseignement, a relancé le débat sur le sujet. Frédéric Encel, maître de conférences à Sciences Po Paris et auteur des 100 mots de la guerre aux éditions PUF, explique sur Europe 1 que les conditions juridiques, mais aussi géopolitiques doivent être réunies pour que cette opération délicate se passe bien.
Respect du cadre judiciaire
Car la France ne peut pas expulser qui elle veut, ni comme elle le souhaite. "Nous sommes un état de droit, une démocratie. On n'expulse pas quelqu'un pour des raisons autres que très formellement juridiques. Il faut que ce quelqu'un ait commis des délits ou des crimes", explique Frédéric Encel.
Le passage à l'acte n'est toutefois pas nécessaire : il peut être suffisant "qu'il soit en passe d'en commettre, et ça c'est quelque chose de parfois difficile à démontrer", considère le géopolitologue. "On peut néanmoins tenter de chasser quelqu'un du territoire national qui n'est pas français". Le maitre de conférence à Sciences Po Paris prend notamment l'exemple de l'imam de Vénissieux dans les années 2000. "Il n'avait pas commis de crime mais il appelait à des comportements qui étaient manifestement violents, délictueux, ou criminels".
La France ne peut pas décider seule
Il est ensuite essentiel que tout soit "mis en œuvre sur le plan juridique et judiciaire, conformément aux lois, pour appliquer ces expulsions", précise-t-il. Car la France ne veut pas, en vertu du droit international, créer d'apatride. Ainsi, "si la personne n'a pas de pays d'accueil ou de passeport étranger on ne peut pas l'envoyer n'importe où", affirme Frédéric Encel.
Cela oblige donc les autorités françaises à négocier "parfois en sous-main, parfois de manière très directe, avec les états d'origines de ces personnes", comme a pu le faire Gérald Darmanin. Mais ces négociations peuvent être ardues car "lorsqu'on a affaire à des gens manifestement considérés comme violents, potentiellement terroristes ou comme étant membre d'organisation interdites dans ces pays là", il peut être difficile d'obtenir un accord d'expulsion. Prenant l'exemple, du Maroc, de l'Algérie ou encore de l'Egypte, des États comme les républiques musulmanes ex-soviétiques ou le Sénégal, le géopolitoloque détaille "qu'ils ne veulent pas importer de problème islamiste et terroriste chez eux".
Pas d'expulsions vers les pays où ils risquent la torture ou la mort
Pour autant, "objectivement la coopération est bonne, et en particulier depuis les années 1990 car nous luttons tous contre le même fléau", estime Frédéric Encel. Ce qui n'empêche pas des négociations d'avoir lieu. "On peut négocier un soutien diplomatique sur une thématique qui n'a pas grand chose à voir avec l'islamisme radical, à l'assemblée générale de l'Onu, au conseil de sécurité. Cela peut se jouer sur le plan commercial et économique car on a des volumes d'échange très importants avec les pays du Maghreb", détaille le maitre de conférence à Sciences Po.
Ces accords peuvent aussi concerner d'autres cibles et porter "sur des personnalités dont ces pays souhaiteraient, au contraire, qu'elles soient extradées si elles y ont commis des délits ou des crimes". S'ajoute une dernière difficulté, ajoute le spécialiste : "La France, état de droit, s'interdit d'expulser des ressortissants de pays dans lesquels ils risqueraient d'être torturés ou exécutés".