Un rapport indépendant, publié le 17 juillet et commandé par Emmaüs et la Fondation Abbé Pierre, révèle des accusations d'agressions sexuelles émises par plusieurs femmes et visant le prêtre (1912-2007) de la fin des années 1970 et 2005. Il a provoqué une onde de choc.
"Ca a été un tsunami", se remémore auprès de l'AFP Thierry Kuhn, ancien président d'Emmaüs France et aujourd'hui responsable d'une structure d'insertion d'environ 200 salariés, Emmaüs Mundo, basée près de Strasbourg.
"On a tout de suite organisé des réunions avec l'ensemble des salariés et bénévoles et il y a eu des réactions assez variées, aux deux extrêmes".
"D'un côté, mais ça reste assez marginal, des réactions du type : 'il faut lui foutre la paix', 'Pourquoi ces femmes font des révélations aujourd'hui ?' Et à l'inverse, beaucoup de réactions de gens qui disent : 'on est fiers d'appartenir à un mouvement qui a su prendre à bras-le-corps cette question-là et a su réagir sainement : on écoute les victimes, on les croit, on les soutient et on rend publiques ces révélations'", ajoute-t-il.
"Sortir de la galère"
Pour l'heure, la question de décrocher les portraits du célèbre prêtre au béret noir présents notamment dans la salle de vente d'Emmaüs Mundo n'a pas encore été tranchée, précise Thierry Kuhn, qui se dit favorable, à titre personnel à valoriser d'autres figures du mouvement, à l'image de Lucie Coutaz, co-fondatrice d'Emmaüs, ou de George Legay, tout premier compagnon.
A des centaines de kilomètres de là, si débats il y a eu sur la place à accorder à l'Abbé Pierre, longtemps personnalité préférée des Français, le dossier semble aujourd'hui clos: pour Germain Sarhy, responsable du village de Pau-Lescar, qui abrite l'une des plus grandes communautés Emmaüs de France avec 130 travailleurs, "il n'est absolument pas question que l'on enlève" les deux sculptures représentant l'Abbé Pierre présentes sur le site.
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"On refuse de renier cette vie d'engagement", déclare-t-il à l'AFP, précisant faire la distinction entre le personnage engagé, inlassable défenseur des sans-abris, et l'homme, Henri Grouès. "Ce qui nous choque énormément, c'est le fait qu'on fasse beaucoup d'amalgame", abonde Kamel Fassatoui responsable de la communauté Emmaüs de Marseille Pointe-Rouge. "Il y a peut-être un peu de réflexion et de mesures, de sens à avoir. Il y a l'oeuvre de l'Abbé Pierre, tout ce qu'il a fait, toutes les personnes qu'il a sauvées de la rue".
"La préoccupation des donateurs et des clients qui sont dans la galère en ce moment, et des gens qui sont sans-abri, ce n'est pas ce qu'a fait l'Abbé Pierre, c'est plutôt ce que peut faire Emmaüs pour les sortir de la galère", affirme-t-il.
"Dépersonnaliser"
À Esteville (Seine-Maritime), où Henri Grouès est enterré, l'avenir du centre Abbé Pierre-Emmaüs, consacré à l'icône de la lutte contre le mal-logement, semble-lui plus qu'incertain. Accueillant chaque année 9.500 personnes, il a fermé ses portes jusqu'à nouvel ordre, en "solidarité avec les victimes de violences sexistes et sexuelles".
D'autres lieux de la ville pourraient être renommés. Dans un communiqué publié en août, le maire de la commune Manuel Grente estimait qu'il fallait avoir "le courage de prendre les décisions qui s'imposent, tant au niveau du groupe scolaire qui porte le nom de l'Abbé Pierre qu'au niveau de la fresque le représentant au sein de notre espace multi sports".
Esteville "devra, en conscience et en responsabilité, trouver le juste milieu entre l'héritage laissé par l'Abbé Pierre et l'effroi suscité par les révélations à son sujet", écrivait-il. Quid enfin de la Fondation Abbé Pierre? Faut-il faire table rase du nom ? Au siège, rien ne filtre sur ce qui pourrait advenir mais une source en interne fait savoir que "toutes les options sont sur la table".
Pour Thierry Kuhn, "peut-être qu'il faut dépersonnaliser" et replacer l'Abbé Pierre "à sa juste place : une personne dans un collectif".