Ce sont des conclusions que les victimes des attentats du 13 novembre et leurs familles attendaient avec impatience. Après 190 entretiens et 200 heures d'auditions au cours des six derniers mois, les députés de la commission d'enquête consacrée "aux moyens mis en oeuvre par l'Etat" face aux attentats de 2015 ont bâti un rapport de 300 pages. Dans cette synthèse, fruit d'un travail de longue haleine, les parlementaires retracent d'abord une précieuse chronologie - quasiment minute par minute - de ce qui s'est passé le soir du 13 novembre 2015. Mais surtout, ils émettent 40 propositions, qui ont été adoptées, mardi matin, à l'Assemblée nationale. Des préconisations, qui traversent diverses thématiques (renseignement, aide et statut des victimes, politique pénale, premiers secours, etc.), et qu'Europe 1 a pu consulter.
Intégrer des secours formés au sein des forces d'intervention. Premier constat effectué par les députés : la rapidité des secours est décisive pour faire face à ce type de tuerie de masse. L'équipement des troupes d'intervention est donc essentiel. Car si "les secours ont été gérés dans les meilleures conditions possibles suivant les circonstances", a estimé le député LR George Fenech, président de la commission, les victimes ont parfois eu l'impression que les secours arrivaient tard sur les lieux.
En réalité, ce sont d'abord les policiers qui ont sorti les spectateurs du Bataclan, en utilisant parfois des palissades de travaux en guise de brancards. La question se pose donc d'intégrer des secours formés dans les colonnes d'assaut. Dans leur cinquième proposition, les parlementaires suggèrent ainsi de "constituer au plus vite des colonnes d'extractions des victimes composées de secouristes, intervenant sous la protection des forces d'intervention".
Initier les citoyens aux gestes de premiers secours. Dans la perspective de renforcer leur efficacité, les parlementaires recommandent également de former l'ensemble des équipes de secours à la médecine de guerre et aux techniques de "damage control" (prop. 7) qui permettent d'agir rapidement et avec les bons gestes, en situation d'urgence. Ils insistent également sur la nécessité de former les Français "aux gestes qui sauvent" (prop. 8), à l'instar des stages d'initiation qui ont pu être proposés par les sapeurs-pompiers de Paris, après les attentats.
Refondre les services de renseignement. Autre point important, sans doute l'un des plus questionné et critiqué par les parlementaires : les renseignements. Sur ce sujet, les députés s'attardent longuement dans leurs recommandations. "Les deux grands patrons du renseignement ont reconnu pendant leurs auditions que les attentats de 2015 représentent un 'échec global du renseignement", a révélé le socialiste Sébastien Pietrasanta, rapporteur de la commission. Mardi matin, devant l'Assemblée nationale Georges Fenech a souligné ce point :
Ts ces terroristes étaient fichés.Ces #AttentatsParis sont un échec de nos services ns remettons donc en cause leur organisation.#DirectAN
— Georges FENECH (@GeorgesFENECH) 5 juillet 2016
Selon Le Monde, Bernard Bajolet, le directeur général de la sécurité extérieure (DGSE), avait déclaré lors de son audition devant la commission : " Des attentats comme ceux du 13 novembre marquent bien un échec du renseignement extérieur […] Ils représentent aussi sans doute un échec pour le renseignement intérieur, dans la mesure où ils se sont produits sur notre sol". Partant de ce constat, les députés préconisent une refonte des services de renseignement, afin de garantir notamment un meilleur échange d'informations au sein des services.
Le Service central de renseignement territorial (SCRT, anciens Renseignements généraux) et son équivalent chez les gendarmes, la Sous-Direction de l'anticipation opérationnelle (SDAO) fusionneraient ainsi pour former une Direction générale du renseignement territorial (DGRT), rattachée directement au ministre de l'Intérieur (prop. 14). La fusion de l'état-major opérationnel de prévention du terrorisme (EMOPT), récemment créé au sein même du cabinet du ministre de l'Intérieur, et de l'Unité de coordination et de lutte antiterroriste (Uclat) de la direction générale de la police est également envisagée (prop. 19).
Centraliser la lutte antiterroriste. Dans sa 18ème proposition, la commission préconise la création "d'une agence nationale de lutte antiterroriste" afin de garantir une meilleure analyse de la menace et une coordination, opérationnelle notamment, plus efficace. Placée sous la houlette du Premier ministre, cette agence serait basée sur le modèle du Centre national antiterroriste (NTC), créé aux États-Unis après les attentats du 11 septembre 2001.
A sa création s'ajouterait celle d'une base de données commune à tous les acteurs de la lutte antiterroriste. "La commission d’enquête a éprouvé de grandes difficultés à obtenir le nombre d’individus suivis par les différents services chargés de la lutte antiterroriste. La raison en est simple : un tel fichier consolidé n’existe pas", a expliqué Sébastien Pietrasanta au Monde.
D'autre part, les députés pointant des failles concernant les échanges d'informations entre pays voisins (notamment entre la France et la Belgique, autour de la fuite de Salah Abdeslam), réclament davantage de coopération internationale (prop. 34 à 39).
Il y a un seul fonctionnaire d'#Europol pour gérer #Frontex. La lutte ctre le terrorisme doit être européenne et internationale #DirectAN
— Georges FENECH (@GeorgesFENECH) 5 juillet 2016
Se donner les moyens d'un véritable renseignement pénitentiaire. Mais la bataille du renseignement se joue aussi en prison, où nombre d'auteurs d'actes terroristes ont déjà séjourné. Raison pour laquelle la commission souhaite que l'on puisse "accélérer la mise en place" d'un "véritable" bureau du renseignement pénitentiaire, avec des recrutements et des moyens supplémentaires (prop.15). Pour l'instant, seuls 114 agents sont affectés à ce bureau, pour 189 établissements pénitentiaires et plus de 68.000 détenus… Lors de son audition devant la commission, le Garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas a d'ailleurs reconnu que "tout est à faire" dans ce domaine.
Le cas d'Amedy Coulibaly est emblématique des failles du renseignement pénitentiaire. L'auteur de la tuerie de l'Hyper Cacher, en janvier 2015, avait été condamné plusieurs fois - notamment pour le projet d'évasion de Smaïn Aït Ali Belkacem, impliqué dans les attentats de 1995. Mais lorsqu'il est sorti de prison, l'information n'a pas été transmise, et aucune surveillance n'a été instaurée alors même que sa radicalisation ne faisait plus de doute. De plus, les députés ont rajouté, mardi matin, une proposition - la quarantième - visant à augmenter le parc pénitentiaire.
Un contrôle judiciaire renforcé, pas de remise de peine. Du coté pénal, les députés envisagent d'"exclure les personnes condamnées pour des actes terroristes du bénéfice de réduction de peine", tel qu'il est normalement prévu par le code de procédure pénal (prop. 22). Autrement dit, de supprimer toutes les remises de peine automatiques pour ces personnes. Mais aussi de renforcer les contrôles judiciaires pour les mis en examen en raison d'infractions à caractère terroriste (prop. 24).
En ce qui concerne les victimes, les députés suggèrent d'améliorer leur accompagnement, notamment via une extension de l'aide juridictionnelle. Les parlementaires souhaitent également que soit pérennisée la mise en place du secrétariat d'Etat chargé de l'aide aux victimes (prop. 11 et 12).
Réduire la mobilisation sur l'opération Sentinelle. Enfin, le rapport se montre critique sur l'opération Sentinelle, qui mobilise en permanence 10.000 militaires pour sécuriser l'ensemble du territoire national. Pour le député socialiste Sébastien Pietrasanta, le dispositif n'a pas prouvé son "efficacité réelle" et il faut donc, selon, la commission, "diminuer progressivement les effectifs engagés" pour ne les concentrer que sur "certains points stratégiques" (prop. 29). En revanche, les parlementaires plaident pour le recrutement de 2.000 gendarmes ou policiers en vue de "tenir la posture du plan Vigipirate".