La cloche a sonné et les portes ont rouvert. Lundi, quelque 12 millions d'écoliers ont fait leur rentrée en France. Mais après le temps des découvertes ou des retrouvailles, celui des évaluations pointe déjà le bout de son nez pour les élèves de CP, CE1, sixième et seconde. Cette promesse de campagne d'Emmanuel Macron, portée par le ministre de l'Éducation Jean-Michel Blanquer, provoque toutefois quelques remous au sein des écoles, collèges et lycées. De quoi est-il question ? Quel est l'objectif du gouvernement ? Pourquoi les syndicats s'inquiètent-ils ? Europe1.fr passe les évaluations au crible.
Concrètement, que va-t-il se passer pour les élèves ?
L'an dernier, Jean-Michel Blanquer avait déjà instauré des évaluations à l’entrée du CP (deuxième moitié de septembre) et de la sixième (octobre). Le ministre a donc passé la vitesse supérieure pour cette rentrée, en programmant notamment une deuxième évaluation en cours de CP, prévue en février. Comme la première, celle-ci va consister à tester le niveau de français des écoliers, au cours de deux séances de vingt minutes à chaque fois, ainsi que leurs compétences en mathématiques, sur une seule séance cette fois.
Le dispositif est le même pour les élèves de CE1, qui découvriront les évaluations en septembre, avec des épreuves de lecture à voix haute, d'orthographe ou encore de calcul mental.
Les lycéens de seconde auront également droit à un "test de positionnement" fin septembre. Ce test aura lieu sur une tablette numérique, et se déclinera en deux évaluations de cinquante minutes en français et en maths, pour tous les élèves, qu'ils soient en filière générale, professionnelle ou technologique.
À chaque fois, les parents recevront les résultats des évaluations. "Cela deviendra une habitude de recevoir le bilan de son enfant, comme c’en est une de faire la photo de classe", a mis en avant le ministre de l'Éducation, lundi dans les colonnes du Parisien. Lors de sa conférence de presse, la semaine précédente, il n'avait d'ailleurs pas exclu d'intégrer de nouvelles évaluations au programme ces prochaines années.
Quel est l'objectif avancé par le gouvernement ?
"Une véritable culture de l'évaluation doit se déployer" en France, préconisait au cœur de l'été le Premier ministre Édouard Philippe, dans ses directives pour l'Éducation. Depuis, le gouvernement ne cesse de répéter son message : "l'évaluation a un seul but : aider l'élève".
Pour le ministre, les résultats des évaluations de CP permettront notamment de renseigner les instituteurs de maternelle sur les besoins de leurs classes. Et celles de seconde de déclencher, si besoin, une aide personnalisée en français et en mathématiques.
Les résultats des tests réalisés auprès de 810.000 élèves de sixième et publiés mercredi dernier révèlent en tout cas la nature de la marge de progression : 15% élèves n’ont pas le niveau en français à l’entrée en sixième. Le chiffre grimpe même à 27 % pour les mathématiques.
Comment cette nouveauté est-elle accueillie ?
Malgré la volonté de rassurer du gouvernement, les syndicats redoutent d'abord un "effet anxiogène" sur les élèves et leurs parents. "Si on leur envoie un courrier avec les résultats sans commentaires, ce sera le cas", prévient ainsi Claire Krepper, secrétaire nationale du SE-UNSA, dans des propos relayés par 20 Minutes.
"On doit aborder ces évaluations de façon décontractée. L’un de mes devoirs de cette rentrée est d’enlever ce venin de l’angoisse derrière les évaluations. N’essayons pas de créer des peurs, elles ne sont pas anxiogènes mais rassurantes au contraire", s'est pour sa part défendu Jean-Michel Blanquer devant la presse.
L'expérience de l'an passé n'incite pas non plus à la sérénité. "Les tests proposés n’étaient pas faits pour des élèves de CP. Nous en avions fait part au ministère qui a fini par demander aux enseignants de les adapter. Cette année, on ne connaît pas le contenu des nouveaux tests. Comment ont-ils été produits ? Ont-ils été frottés au terrain ?", s'est interrogée à ce propos Francette Popineau, secrétaire générale du SNUipp-FSU, premier syndicat dans le primaire, lors de sa conférence de presse de rentrée.
Enfin, outre la limitation des matières évaluées au français et aux maths, l’apprentissage de la citoyenneté ou de l’autonomie des élèves reste par exemple peu quantifiables par des tests.
Que nous apprennent les expériences déjà réalisées ?
Cette fameuse "culture de l'évaluation" n'est en tout cas ni une nouveauté, ni une particularité nationale, loin de là. La pratique est d'ailleurs utilisée depuis de longues années chez les Anglo-saxons, avec des spécificités selon les pays.
L'exemple le plus connu est celui de l'Angleterre, qui l'expérimente depuis le début des années 1990. Et près de trente ans après, le bilan n'est pas des plus positifs. "Beaucoup de matières ne sont plus enseignées, notamment dans les sciences humaines, ou sont négligées, comme les langues étrangères, la musique, l’art, le sport", renseigne ainsi Stephen Ball, professeur en sociologie de l'éducation à Londres, dans les colonnes de Libération.
Outre-Manche, la directrice des inspecteurs de l’Éducation a même reconnu que le nombre d'évaluations était devenu trop important dans le pays. Leur abandon lors de l'entrée à l'école primaire y est déjà programmé.
En France, la volonté affichée en 2008-2009 d'évaluer les élèves en cours d’année de CE1 et de CM2 s'était quant à elle heurtée à la colère des enseignants, jusqu'à l'abandon de ces évaluations en 2012. Mais à l'époque, c'est le calendrier qui agrégeait le plus de critiques.
La peur d'une "mise en concurrence des écoles"
Les syndicats craignent également une "mise en concurrence des écoles", avec la création, prévue en 2019, d'une instance d’évaluation des établissements scolaires. Son "but fondamental est surtout de créer des outils d’appréciation utiles aux établissements", assure Jean-Michel Blanquer, dans un entretien au Parisien.
"On est parti d’évaluations nationales qui étaient là pour être des outils pédagogiques et on voit qu’elles se transforment en outil d’évaluation des politiques publiques", s'émeut pourtant auprès d’Europe 1 Stéphane Crochet, secrétaire général du syndicat SE-UNSA. "Le risque, c’est de se mettre à préparer nos élèves à répondre à des exercices qui serviront à nous noter, nous les enseignants, professionnellement" estime encore le syndicaliste. "Si l’on se met à faire ça, on perd complètement le sens de ce que l’on a à faire à l’école".
Cette mise en concurrence pourrait même, avancent certains, influer à terme sur le salaire des enseignants. Début juillet, le ministre a en effet annoncé vouloir conditionner une partie de la prime versée aux professeurs de l’éducation prioritaire "aux progrès des élèves et à l’accomplissement du projet d’école et d’établissement qui y contribue".