Qui va payer l’addition ? En ce jour de Saint Valentin, de nombreux couples vont peut-être se (ou se sont déjà) poser la question. Vais-je passer pour un(e) radin(e) si je le/la laisse payer ? Doit-on proposer de partager, quitte à mettre de côté son romantisme ? Doit-on même aborder la question, quitte à briser la magie du moment ? La question, d’apparence anodine, ne l’est pas tant que ça, surtout au début d'une relation.
"Le fait de payer envoie un message rassurant, de sécurité, de bienveillance. C’est un cadeau et en même temps, dans une certaine mesure, un signe d’engagement. Il y a beaucoup de choses derrière", résume pour Europe 1 la psychologue Camille Rochet, auteure du blog À nous tous. Et la thérapeute de prévenir : "En fonction de la sensibilité de l’autre, surtout lors d’un premier rendez-vous, il peut y avoir un message négatif. Cela peut instaurer un rapport d’autorité si l’on impose de payer l’addition, et en même temps cela peut aussi décevoir l’autre si l’on ne propose pas d’offrir".
" La valeur symbolique de l’argent se retrouve décuplée "
Le risque, également, est de donner l’impression que l’argent est au centre de l’attention. "C’est un contexte où la valeur symbolique de l’argent se retrouve décuplée", souligne la psychanalyste Ilana Reiss-Schimmel, dans Psychologie magazine. "La manière dont l’autre fait usage ou non de son argent est observée et son comportement est évalué à l’aune de ses propres attentes. Il faut montrer qu’il ne s’agit pas d’une relation intéressée", poursuit Caroline Henchoz, professeure de sciences humaines et auteure de Le couple, l'amour et l'argent, citée par le magazine Cheek.
Les études précises sur le comportement des Français en la matière sont rares. Selon un sondage TNS Sofres commandé par Meetic en 2016, seuls 24% des Français (hommes et femmes compris) estiment "normal" que la femme paye l’addition, contre 36% pour l’ensemble de l’Europe. Pour Caroline Henchoz, le paiement de l’addition au 21e siècle consiste en un "savant dosage entre égalité et codes de séduction plus traditionnels". Ainsi, certains ont encore "l’idée que si l’homme ne paie pas, c’est que la femme ne l’intéresse pas. Si l’homme paie, c’est pour indiquer à la femme qu’il compte la revoir. Cette interprétation vient du patrimoine culturel commun que nous partageons", analyse-t-elle.
" L’important est de faire simple, que cela vienne naturellement "
"Un patrimoine culturel" duquel il est urgent de sortir, insistent certains. Dans un "Manifeste pour que les femmes payent (aussi) l'addition au restaurant", publié en octobre 2016 sur le site du Huffington Post, l’actuelle Secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, voyait ainsi derrière ce problème de couple un sujet de société bien plus large. "Les restaurateurs ont tendance à présenter l'addition à l'homme (ou aux hommes) de la table. La femme qui a comme eux consommé, bu ou mangé, est donc considérée tacitement comme étant ‘prise en charge’. […] Or, cette situation n'a rien de confortable pour bien des femmes ! Au contraire : elle induit que nous serions incapables de payer pour nous-mêmes, voire pour les autres", s’indignait alors l’ancienne bloggueuse.
Pour la psychologue Camille Rochet, "la majorité des personnes est touchée lorsque l’autre propose d’offrir". Le meilleur conseil à donner reste donc peut-être de ne pas trop y penser. Et de rester naturel. "Il ne faut rien imposer, toujours proposer. Cela dépend du contexte (si c’est un premier rendez-vous, si vous avez passé un bon moment, de la personne qui a proposé le rendez-vous…) et surtout de la manière de présenter les choses. Dire, ‘j’ai passé un super moment, j’ai envie de te l’offrir’, cela fonctionnera toujours", assure Camille Rochet. Et de conclure : "l’important est de faire simple, que cela vienne naturellement. Et si l’on sent une réticence chez l’autre, autant en parler tout de suite. Cela peut permettre de poser, dès le premier rendez-vous, les bases pour une meilleure communication à l’avenir".