Il était en détention provisoire depuis décembre 2016. Un détenu d'une quarantaine d'années, Aleksander H., mis en examen pour son implication dans l'attentat de Nice et qui ne cessait de clamer son innocence, s'est suicidé début juin dans sa cellule de Fleury-Mérogis. Selon son conseil, Me Olivia Ronen, interrogée par Europe 1, l'homme ne supportait pas d'être poursuivi pour terrorisme et avait alerté l'administration pénitentiaire sur la dégradation de sa santé mentale. L'avocate explique avoir de bonnes raisons de penser que l'abandon de la qualification terroriste était "quasi-imminent" dans ce dossier et déplore l'effet "rouleau-compresseur" des longues enquêtes en matière d'anti-terrorisme.
"Jamais d'infraction grave". Aleksander H., né en Albanie, était installé en France avec sa femme, également Albanaise, et leur fils, né dans l'Hexagone. "Il vivait de petits chantiers qu'il faisait au noir", raconte Olivia Ronen. "C'était dans ce pays qu'il souhaitait s'établir et pouvoir construire son avenir." Impliqué dans de petits trafics, l'homme n'était "pas un enfant de coeur", reconnaît-elle. "C'était quelqu'un qui avait un casier judiciaire, mais à qui il n'avait jamais été reproché d'infraction grave." Jusqu'à l'hiver 2016, lorsque les enquêteurs, retraçant l'itinéraire des armes de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, auteur de l'attentat de Nice, remontent jusqu'à lui. Soupçonné d'avoir fourni un pistolet automatique et une kalachnikov à un couple d'Albanais, qui les auraient eux-mêmes vendus à un proche du tueur, l'homme est mis en examen pour complicité d'association de malfaiteurs terroristes.
"Il a un lien extrêmement périphérique dans le dossier", estime Olivia Ronen. "Il est en extrémité de chaîne. Toutefois, il n'y a aucun lien qui a été démontré entre lui et le terroriste, et il n'avait aucun lien avec la mouvance islamiste." L'avocate interroge aujourd'hui sur la longueur de la détention provisoire et les chefs de mise en examen de son client, restés les mêmes pendant un an et demi malgré les avancées de l'enquête. "On peut comprendre que la justice, initialement, puisse se dire qu'elle va vérifier, et retenir une qualification terroriste. Ce que l'on peut regretter c'est que l'enquête ne se soit pas adaptée au fur et à mesure et qu'on ait pas abandonné plus tôt cette qualification terroriste qui était pourtant apparue comme hors de propos."
"J'ai pu voir la dégradation de son état". D'après Libération, qui a retracé les derniers mois d'Aleksander H., l'homme avait dit ne plus pouvoir "vivre comme ça" lors du dernier débat sur la prolongation de sa détention, quelques jours avant son suicide. "C'est la première fois que je pleure, j'aime bien la France (...) Je pense qu'à me suicider, j'en ai marre", avait-il encore déclaré. "J'ai pu voir la dégradation de son état au fur et à mesure de l'instruction et des prolongations de son mandat de dépôt", confirme son avocate. "Il a clamé du début à la fin que cette qualification était lourde, qu'il ne la comprenait pas, qu'il la déniait. C'est quelqu'un qui a pu dire, au cours de ses interrogatoires et devant le juge des libertés et de la détention, que la France était un pays qu'il aimait et qu'il n'aurait jamais voulu lui faire de mal." Détenu sous un régime spécifique en raison de ses chefs de mise en examen, l'homme n'était pas autorisé à travailler en prison.
"Il n'avait pas de visites en détention parce que sa famille était rentrée en Albanie", ajoute Olivia Ronen. "Il avait eu une première décompensation courant mars, annonciatrice de quelque chose qui dysfonctionnait." Hospitalisé puis suivi par des psychiatres, l'homme prenait selon elle un traitement. "Il appelait à l'aide, et j'ai su, en discutant avec certains détenus, que tout le monde était alerté sur son état de santé qui était tangent, tant les surveillants que les détenus. Mais on n'a pas réussi à empêcher un passage à l'acte, ce qui pose question sur les conditions de détention", estime-t-elle. "Est-ce que le suivi est suffisant ? Evidemment que non."
Près de deux mois après la mort de son client, l'avocate raconte son impression de s'être trouvée "face à un rouleau-compresseur". "Si initialement, quand l'enquête commence, quand l'attentat vient d'avoir lieu, on peut comprendre que la justice n'ait pas les moyens de distinguer les choses parce qu'elle n'a pas encore les informations, on ne comprend plus, à partir du moment où elle a réussi à avoir les éléments, que cette qualification soit toujours retenue", dénonce-t-elle. "C'est se battre contre Goliath, c'est extrêmement difficile."