"Ça ne ressemble pas à la Bastille", souffle Élise, 25 ans, un drapeau bleu-blanc-rouge noué autour du cou. "Mais en même temps, ça lui correspond assez bien. C'est joli, c'est inédit, c'est une bonne idée." En 2012, la jeune femme et son amie Maria, toutes deux étudiantes en arts, célébraient la victoire de François Hollande sur la place symbolique de la Révolution française. "On était pleines d'espoir de changement, mais ce n'était pas vraiment réaliste", lâche Maria. Cinq ans plus tard, respectivement en stage et au chômage, les deux copines se retrouvent sur l'esplanade du Louvre, pour célébrer l'élection d'Emmanuel Macron.
"Un déblocage du système". Contexte sécuritaire oblige, le rassemblement est moins spontané que celui de 2012. Pour accéder au site, scrupuleusement délimité par la préfecture de police, les deux filles ont dû, comme tout le monde, passer trois contrôles de sécurité, subir une palpation et voir leur sac reniflé par un chien. "C'est pire qu'à la fan zone pendant l'Euro", marmonne Pierre, un drapeau européen entre les mains. Coincé dans la queue, il a raté le compte à rebours et le visage de son champion sur les écrans géants à vingt heures. "On comprend, évidemment. Mais ça instaure une atmosphère bizarre." Lui restera relativement loin de la scène.
À côté, Jérôme, 65 ans, est venu pour "marquer le coup". En 2012, il a voté pour François Hollande. "Et cette fois Macron, dès le premier tour : le parti socialiste, on ne s'en sortira pas. J'attends le renouvellement de la classe politique, un déblocage du système." Son voisin, deux fois plus jeune, écoute et acquiesce : "Ouais, c'est exactement ça."
"C'est un peu flou". À mesure que l'on s'approche de la scène, la moyenne d'âge ne cesse de baisser. Le "renouveau", lui, reste sur toutes les lèvres. "Je me sens une enfant de l'Europe, autant que de la France", explique Marie, la vingtaine, béret vissé sur la tête. "Il faut transformer notre rapport à l'Union européenne, apporter un coup de frais." Comment ? "On attend de voir, il vient d'être élu. C'est le début du changement." Ses amies Charline et Victoria attendent, elles, des précisions sur les mesures du futur président pour l'écologie. "Parce que pour l'instant, c'est un peu flou."
Comme à la Bastille en 2012 en revanche, des concerts font patienter la foule, avec plus ou moins de succès. Lorsque le groupe Magic System investit la scène, les milliers de petits drapeaux français distribués par les bénévoles du camp Macron s'agitent, façon boîte de nuit. Un DJ nettement moins connu lui succède, et l'ambiance retombe un peu. Les plus agiles attendent en haut des lampadaires ou des feux rouges.
"Des nouvelles têtes". À quelques dizaines de mètres de l'estrade, Margot et Joséphine, 23 ans, trépignent d'impatience. "Il y a un vrai enthousiasme autour de lui, l'envie de tout reprendre à zéro", estime la première. "On veut quelque chose de différent, un peu comme quand Justin Trudeau a été élu au Canada." Son amie se souvient, elle, avoir croisé le couple Macron dans un restaurant d'une rue voisine, "il y a deux ou trois ans." "Il était avec Brigitte, personne ne les reconnaissait. Et aujourd'hui, il est président ! C'est comme un modèle, la preuve qu'on peut être jeune et monter très vite les échelons en travaillant. C'est hyper symbolique de le revoir ici."
Plusieurs des jeunes qui les entourent célèbrent la victoire sans avoir pu voter. C'est le cas d'Elisa, lycéenne bretonne venue spécialement de Paimpol, en Bretagne, avec sa famille. "C'est un nouveau souffle, un beau moment même pour eux, c'est leur avenir qui se joue", estime Olivia, sa mère. Elle pense déjà à la composition d'un futur gouvernement. "Ce serait bien de mélanger des nouvelles têtes, et des gens qu'on connaît déjà. On voit mal un Premier ministre sans aucune expérience, tout de même."
Enfin, Emmanuel Macron entre sur l'esplanade. "On dirait Mitterrand", souffle une dame tandis qu'il traverse lentement la cour de l'ancien palais royal, suivi par les lumières et les caméras. À la tribune, il évoque sobrement la justice, la sécurité et l'écologie. Ses proches le rejoignent sur scène, saluent brièvement la foule, et c'est déjà fini. Le chauffeur de salle a eu beau promettre d'autres concerts à venir, la foule tourne déjà le dos à la pyramide. Il est à peine plus de vingt-trois heures, et le Louvre n'a vraiment rien de la Bastille.