"Théorie du genre" : qu'enseigne-t-on dans les manuels scolaires ?

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Le pape François a provoqué lundi une vive polémique en accusant les manuels scolaires français de propager un "sournois endoctrinement de la théorie du genre". Qu'en est-il ?

Dimanche soir, le pape François donnait une conférence de presse dans son avion de retour du Caucase. En quelques mots, le souverain pontife a réveillé la polémique française sur la "théorie du genre". Il a en effet dénoncé le "sournois endoctrinement" des manuels français sur le sujet, s'appuyant sur l'exemple d'un père français inquiet pour son fils qui souhaiterait devenir une fille. Des propos qui ont immédiatement enflammé les réseaux sociaux et le débat politique. Avec cette question, en filigrane : que trouve-t-on dans les manuels scolaires ?

De quoi parle-t-on ? Le pape a appuyé ses propos sur une anecdote, rapportée par un père de famille catholique français. Ce dernier lui aurait raconté que son fils, interrogé sur ce qu'il voulait faire plus tard, aurait répondu : "être une fille". "Le père s'est alors rendu compte que dans les livres des collèges, la 'théorie du genre' continuait à être enseignée, alors que c'est contre les choses naturelles", a déclaré le pape.

Mais les pouvoirs publics comme les syndicats et les professeurs sont formels : on n'enseigne par la "théorie du genre" dans les manuels scolaires. " Dans les programmes scolaires, qui sont de ma responsabilité, y a-t-il écrit que dans la vie, l'égalité entre les femmes et les hommes signifie que l'on peut changer de sexe? Évidemment non", a vivement réagi la ministre de l'Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, invitant le pape à "feuilleter lui-même ces manuels scolaires". "Quand on parle de théorie de genre, on voudrait dire que l'école influencerait les élèves dans leur choix identitaire, de sexualité, ça serait très grave", renchérit Francette Popineau, porte-parole du Snuipp. "Je l'invite à regarder les manuels et à présenter des excuses à la communauté éducative", demande-t-elle.

"Il est nulle part question de genre dans les programmes", assure de son côté Thomas Brissaire, enseignant de SVT dans un lycée marseillais. "Ce que l'on essaye essentiellement de montrer, c'est que l'aspect culturel se surajoute aux aspects cognitifs et affectifs pour influencer l'identité sexuelle des individus".

Quelle (s) explication (s) ? Comment le pape en est-il venu à se positionner sur ce sujet-là ? Pour Najat Vallaud Belkacem, il est sous influence des "intégristes et leur folie mensongère". "Il a été lui aussi victime de la campagne de désinformation massive conduite par les intégristes de la fondation Lejeune, VigiGender et d'autres", accuse-t-elle. "Il a manqué de vigilance et de discernement", abonde Francette Popineau, qui dénonce "l'influence de groupuscules sur ces théories".

Pour Christine Détrez, sociologue, enseignante-chercheuse à l'ENS de Lyon et spécialiste des questions de genre, le pape "fait peut-être référence à un débat de 2011, qui était le tout début de ce qu'il s'est dit sur la théorie du genre". A l'époque en effet, un chapitre d'un manuel scolaire de SVT à destination des Premières avait fait scandale. Intitulé "masculin-féminin", " on pouvait lire à l'intérieur 'devenir homme et femme'". "On avait ainsi l'identité sexuelle, où il était indiqué qu'elle relève du social et l'orientation sexuelle, qui relève de l'intime". Thomas Brissaire partage cet avis. Les propos du pape lui font également penser à la polémique de 2011. "C'était complètement monté en épingle, il y avait une page d'un manuel qui parlait d'un exemple de genre", assure l'enseignant, invitant ces groupes conservateurs à "venir voir ce que l'on fait dans les classes".

Outre 2011, il y a également eu la controverse sur les "ABCD de l'égalité". Entre 2013 et 2014, l'Education nationale avait ainsi expérimenté dans 600 classes de la maternelle au CM2 des séquences pédagogiques d'égalité homme-femme. Une initiative qui avait mis en colère une frange de la société française qui avait appelé au boycott de cet enseignement, dénonçant une tentative d'enseigner aux enfants qu'ils ne naissent pas fille ou garçon mais qu'ils peuvent construire leur identité sexuelle.

Alors, qu'enseigne-t-on dans les manuels scolaires ? Pour la sociologue Christine Détrez, contrairement à ce qu'affirme le pape, les manuels scolaires ont encore beaucoup à faire en matière d'égalité homme-femme. "Les femmes sont toujours sous-représentées, on a encore une persistance de rôles hyper stéréotypés, notamment dans la façon d'apprendre à lire", dit-elle.

L'abandon des "ABCD de l'égalité" en 2014 pour calmer la polémique a depuis laissé place aux "outils égalité filles-garçons" destinés aux élèves de la maternelle au baccalauréat. "Ces outils sont employés totalement, en partie ou pas du tout par les enseignants", explique Francette Popineau. "Ils aident à la réflexion mais ne sont pas forcément à utiliser tels quel", ajoute-t-elle, tout en regrettant "un manque de formation des enseignants sur ces questions". Thomas Brissaire ne les utilise pas dans sa classe mais il "amène les élèves à se questionner sur les identités sexuelles".