Transports : faut-il inscrire le "harcèlement sexiste" dans la loi ?

Harcèlement transports
© BERTRAND GUAY / AFP
  • Copié
Jugé trop difficile à définir, le Sénat a supprimé le "harcèlement sexiste" d'un projet de loi. Son sort est tranché ce mercredi.

"Tu veux pas que je t'initie, sexuellement parlant "? "Vous connaissez gorge profonde ? J'aimerais bien essayer avec-vous ?" "Hé trésor, t'aurais pas du feu, à part celui qu’t'as au c.. ?" Voilà le type de de circonlocutions que peuvent entendre les femmes dans les transports en commun, selon le site Payetashnek. Le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes relève que… 100% des femmes ont déjà été confrontées à de tels comportements. Toute la classe politique s'accorde pour condamner ce type d'attentats à la dignité, même lorsqu'ils ne sont pas suivis de passage à l'acte. Mais le phénomène reste encore difficile à appréhender, et donc à combattre.

L'article 14 (cliquez ici pour le lire) de la proposition de loi sur l'incivilité et l'insécurité dans les transports vise à inscrire cette notion dans le corps législatif. Adopté en première lecture à l'Assemblée, ce texte propose des actions "de recensement, de prévention et de lutte" contre ces comportements. Le hic ? Fin janvier, le Sénat, à majorité de droite, a supprimé l'article 14 de la loi, jugeant la disposition "inutile et de pur affichage". L'article 14 revient pourtant mercredi dans le débat parlementaire, en commission mixte paritaire (Sénat + Assemblée), la dernière étape avant que la loi soit adoptée. Faut-il vraiment inscrire le "harcèlement sexiste" dans la loi ? Europe 1 vous donne les clés du débat.

Que changeait vraiment cet article 14 ? L'article de loi rejeté par le sénat visait à améliorer la prévention contre les harcèlements sexistes. Concrètement, il a pour but de modifier le code des transports, qui oblige déjà les sociétés de transports collectifs à mener des "actions de prévention de la délinquance et de sécurisation des personnels et des usagers dans ces transports". A cette phrase du code des transports, l'article 14 propose d'ajouter la notion de "harcèlements et de violences à caractère sexiste". Une notion censée regrouper autant les sifflements que les moqueries sur le physique ou les exhortations à caractères sexuels. Et qui n'existe actuellement nulle part dans la loi.

Aujourd'hui, le harcèlement sexiste est déjà puni par la loi mais au travers d'autres notions : "l'injure" faite à une personne en raison de son sexe (jusqu'à 6 mois de prison et 22.500 euros d'amende), la "menace de commettre un crime ou un délit" (6 mois de prison, 7.500 euros d'amende), "l'exhibition sexuelle" (un an d’emprisonnement et 15.000€ d’amende) ou encore le "harcèlement sexuel", c’est-à-dire "le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, ou créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante" (jusqu'à 3 ans de prison et 45.000 euros d'amende).

L'article 14 n'instaurait pas la création d'un nouveau délit sur le "harcèlement et les violences à caractères sexistes". Mais il visait bien à inscrire une nouvelle notion dans le code des transports, afin de préciser l'action des sociétés de transports en commun. Si l'article est adopté, celles-ci devront "rendre compte chaque année de leurs actions de recensement, de prévention et de lutte contre les actes de harcèlement et de violences à caractère sexiste à l’encontre des personnels et des usagers des transports". Ces sociétés devront également mettre en place des "formations" auprès de leurs agents, pour les aiguiller dans leurs actions de prévention et d'accompagnent des victimes.

Pourquoi le Sénat la rejeté. Ce que reproche le Sénat à cet article, c'est qu'il vise selon eux à extraire le harcèlement sexiste du reste de l'arsenal législatif. Et selon les sénateurs, il y a un risque d'atténuation de la sanction, de contre-productivité. En clair, selon eux, si le harcèlement sexiste a une existence spécifique dans la loi, il risque de ne plus relever de "l'injure", de la "menace" ou du "harcèlement sexuel". Et cela risque de compromettre la lutte contre le phénomène. Gérard Larcher, le président du Sénat, a résumé cette position dans un communiqué : "la commission des lois du Sénat considère que ces violences relèvent de délits de harcèlement ou d’agression sexuelles. Cette nouvelle disposition était donc totalement inutile et de pur affichage. C’est une très mauvaise technique de rédaction que d’entrer dans l’énumération d’infractions qui sont déjà couvertes de la manière la plus claire. Un tel article aurait laissé entendre que les faits de harcèlement et violence à caractère sexiste ne relèvent pas de la délinquance".

Par ailleurs, selon les sénateurs, inscrire une définition spécifique pour le "harcèlement sexiste" risquerait de reléguer au second plan les actions de prévention contre les autres types de délinquance. "Il aurait laissé supposer que d’autres délits qui n’étaient pas énoncés – vol aggravé, homicide involontaire ou traite des êtres humains – ne méritaient d’être ni prévenus, ni réprimés", écrit ainsi Gérard Larcher. Quant à la formation des agents des sociétés de transports, les sénateurs estiment que cela doit s'inscrire "dans un cadre plus général incluant les forces de l'ordre".

Pourquoi le Sénat a provoqué un tollé. Cette décision sénatoriale a suscité une vive levée de boucliers. Une pétition lancée en ligne a réuni près de 65.000 signataires en cinq jours. Sur Twitter, au travers du #HarcèlementAgissons, les condamnations foisonnent. Pourquoi un tel soutien à l'article 14 ? Selon ses partisans, une mesure efficace du harcèlement sexiste nécessite une inscription du terme dans la loi. "J'ai pour volonté de consacrer par la loi ce phénomène et de le nommer afin que la lutte contre cette plaie de la vie en société survive aux campagnes de sensibilisation", explique Marie Le Vern, députée PS, auteure de l'article 14, dans une tribune au Huffington Post.

"Les harcèlements sexistes sont dans une zone grise du droit. Ce ne sont pas des harcèlements sexuels, ni des injures publiques ou encore des agressions. Ils sont plus diffus, plus insidieux. Ils profitent largement du silence collectif qui les entoure. Ce non-dit c'est leur passeport pour l'invisibilité", renchérit la députée. Qui interroge : "Quelles sanctions contre les sifflements, les commentaires sur le physique, la tenue vestimentaire, une présence envahissante et opprimante, un regard insistant, des invitations déplacées? Pire, quelles réactions des personnes entourant la victime? Sans se prononcer sur le fond, les sénateurs ont disqualifié le sujet. Ils ont ainsi apporté leur pierre à l'édifice de dissimulation. C'est pourquoi il est essentiel que la loi admette l'existence du phénomène, ne serait-ce qu'en le nommant, pour lui donner corps."

Le rejet de l'article 14 n'a pas non plus fait l'unanimité au Sénat. "C'est la majorité de droite du Sénat qui a supprimé l'article en commission malgré notre opposition", ont ainsi fait savoir les sénateurs socialistes dans un tweet. Débattu mercredi en commission mixte paritaire (CMP), cet article 14 a, au final, de fortes chances d'être adopté. Si la CMP ne parvient pas à un accord, le gouvernement peut décider de saisir l'Assemblée pour une nouvelle lecture. Or, selon le site Madmoizelle.com, très mobilisé sur le dossier, la secrétaire d'Etat aux Droits des Femmes, Pascale Bositard, estime que cet article a été ajouté "en bonne intelligence".