Comme chaque année, le 1er novembre marque le début de la trêve hivernale. Jusqu'au 31 mars, les locataires ne peuvent pas être expulsés de leur logement pour des impayés, sauf exceptions. Né après un appel de l'Abbé Pierre en 1954 et inscrit dans la loi en 1956, ce cadre juridique protège des dizaines de milliers de foyers précaires en France. Mais cela n’empêche pas de nombreux ménages de devoir quitter leur logement en plein hiver à cause d’exceptions légales et de procédures de prévention parfois méconnues.
15.000 expulsions officielles, le triple en réalité. Contrairement à une idée reçue, la trêve hivernale ne signifie pas que les expulsions sont totalement interdites. L’immense majorité des locataires, ainsi que les habitants des bidonvilles, sont protégés pendant cinq mois. Mais ce cadre connaît trois exceptions : l'expulsion reste possible si le locataire bénéficie d'un relogement adapté pour lui et sa famille, ou si l'immeuble est reconnu comme dangereux via un arrêté de péril. Un juge peut également ordonner l'expulsion de squatteurs entrés illégalement dans un logement.
Résultat, les expulsions en présence des forces de l'ordre ont atteint "un niveau inédit" en 2017, selon la Fondation Abbé Pierre : 15.547, contre 15.222 en 2016. Cette légère hausse cache "une augmentation de 46% en 10 ans et 106% en 15 ans", s'alarme son délégué général, Christophe Robert. Un chiffre officiel qui ne prend cependant pas en compte la totalité des expulsions, selon la Fondation Abbé Pierre. "En réalité, on expulse deux à trois fois plus de ménages. Beaucoup n'attendent pas que la police vienne changer la serrure et partent d'eux-mêmes", rappelle Christophe Robert.
Des procédures d’expulsion en cours pendant la trêve. "On parle là de 35.000 à 45.000 ménages concernés" qui anticipent leur départ par crainte de l’intervention des forces de l’ordre, précise à Europe 1 Marie Rotane, responsable de la plateforme "Allô prévention expulsion" de la Fondation Abbé Pierre (0810 001 505). "On a régulièrement des personnes qui nous appellent et nous disent 'Je dois partir' alors qu’on est encore loin du terme de la procédure. Notre rôle c’est de les rassurer, de leur expliquer leurs droits."
Si certaines personnes se sentent ainsi contraintes à quitter leur logement alors que court la trêve hivernale, c’est aussi parce que rien n'empêche un propriétaire d'entamer ou de poursuivre une procédure d'expulsion pendant cette période. "La procédure est très stricte et très longue. Elle s'étend souvent sur plus d'un an et demi, durée à laquelle peut s'ajouter la trêve hivernale", explique Pascal Thuet de la Chambre nationale des huissiers de France.
Quelles sont les étapes de la procédure d’expulsion ?
Le bailleur doit d'abord envoyer un commandement de payer avant d'assigner son locataire devant le tribunal d'instance. Le juge peut alors résilier le bail, accorder un délai au locataire ou le maintenir dans les lieux. En cas de résiliation, la justice délivre un commandement de quitter les lieux et un huissier tente d'obtenir l'expulsion des locataires. S'il échoue, il demande l'intervention des forces de l'ordre à la préfecture. Le préfet peut l'accorder et rendre l'expulsion possible, ou la refuser et indemniser le propriétaire.
Ne pas hésiter à se signaler en cas d’impayés. La clé pour éviter les expulsions reste "la prévention et l'accompagnement juridique des familles. Une fois l'expulsion prononcée, c'est souvent trop tard", insiste Christophe Robert, de la Fondation Abbé Pierre. Pour éviter d’en arriver là, les personnes susceptibles de se retrouver en situation d’expulsion ne doivent pas hésiter à entreprendre des démarches potentiellement salvatrices. "En cas d'impayés, il faut très rapidement se signaler aux services sociaux et aux associations, avant qu'il ne soit trop tard", explique Florent Gueguen, directeur de la Fédération des acteurs de la solidarité.
Parmi les dispositifs existants, le Fonds de solidarité pour le logement (FSL) permet aux départements d'accorder des aides financières aux personnes en difficulté. Les locataires peuvent se signaler à la CAF ou à la mairie. Les agences départementales pour l'information du logement (Adil) sont également présentes pour les accompagner, tout comme certaines associations. Au total, après la mise en place d'un plan de prévention spécifique par l'État, les décisions de justice ordonnant une expulsion ont baissé légèrement en 2017 pour la deuxième année de suite (125.971 contre 129.189 en 2016).