"Mon métier, c'est de produire de l'huile d'olive et des œufs. Mon casier est vierge, je n'ai jamais mis les pieds dans un tribunal", expose calmement Cédric Herrou. "Alors forcément, ça va me faire bizarre." Mercredi, l'agriculteur de 37 ans doit comparaître devant le tribunal correctionnel de Nice pour avoir, en octobre 2016, organisé l'installation d'une cinquantaine de "réfugiés" - il n'emploie pas le terme de "migrants" - dans les locaux d'une ancienne colonie de vacances. Poursuivi pour "aide au séjour" d'étrangers sur le sol français, il encourt jusqu'à cinq ans de prison et 30.000 euros d'amende.
"Un problème qui s'est présenté en bas de chez moi". "Je ne suis pas un militant de la cause des migrants, je me suis simplement occupé d'un problème qui s'est présenté en bas de chez moi", souffle Cédric Herrou. Après les attentats du 13-Novembre 2015, l'agriculteur, qui exerce dans la vallée franco-italienne de la Roya, dans les Alpes-Maritimes, assiste au rétablissement des contrôles aux frontières. Depuis quelques mois déjà, la crise migratoire s'est aggravée dans la région. Entre le 1er janvier et le 15 octobre, 1.534 jeunes ont été accueillis par le département - en charge des mineurs isolés étrangers - contre 173 en 2014.
Mais au mois de novembre, "sous couvert de lutte contre le terrorisme, la frontière se transforme en outil de politique migratoire", assure Cédric Herrou. Empêchés de passer par les grands axes, beaucoup de migrants en provenance de l'Italie voisine tentent de traverser la vallée par n'importe quel chemin, parfois de nuit. Souvent Africains, fuyant des pays instables, certains d'entre eux voyagent depuis des mois. "On voit des gamins en souffrance, juste à côté de chez nous", raconte l'agriculteur. "Les services de préfecture et le président de département ne remplissent par leur rôle, les mineurs ne sont pas pris en charge", assure-t-il.
Un centre de vacances transformé en camp d'accueil. Devant "tant d'illégalité", de nombreux habitants de la vallée décident d'agir. L'association "Roya citoyenne" -originellement constituée pour réclamer la création d'une communauté de communes - s'empare du problème. Plusieurs de ses membres, dont Cédric Herrou, hébergent des migrants, leur apportent de la nourriture ou des soins. Certains vont jusqu'à les aider à franchir la frontière. Au mois d'août 2016, l'agriculteur est interpellé entre l'Italie et la France, avec huit Erythréens à bord de son véhicule. Le parquet de Nice classe l'affaire sans suite.
En octobre de la même année, c'est l'installation sans autorisation d'une cinquantaine de migrants dans un centre de vacances SNCF désaffecté à Saint-Dalmas-de-Tende, dans la vallée, qui lui vaut de nouvelles poursuites. Le centre, initié par "Roya citoyenne", est évacué par les forces de l'ordre au bout de trois jours, Cédric Herrou placé en garde à vue. "Je commençais à trop attirer l'attention sur l'attitude du département", estime-t-il. "Pourquoi m'avoir laissé m'en tirer la première fois ?"
"La perspective du procès est assez angoissante". Libéré mais placé sous contrôle judiciaire, avec interdiction d'utiliser son véhicule, Cédric Herrou devait être jugé en novembre. Ses avocats ont obtenu un renvoi à la date de mercredi, ainsi qu'un assouplissement de ses conditions de vie en attendant : l'agriculteur est autorisé à conduire pour les besoins de son exploitation, de 6 heures à 17 heures. Il peut même se rendre en Italie, soigner ses oliviers sur un terrain qu'il possède de l'autre côté de la frontière, ou vendre ses produits au marché de Vintimille.
"La perspective du procès est assez angoissante", reconnaît le producteur. "Je ne suis pas grand chose face à eux, est-ce que je vais être en capacité de me défendre ?" Depuis 2012, la loi prévoit une immunité pour les passeurs non rétribués, et agissant lorsque la vie des personnes recueillies est jugée en péril. Mais le parquet n'entend pas en faire bénéficier Cédric Herrou, jugeant qu'il n'a pas agi à titre humanitaire, mais par militantisme. L'homme réfute cette interprétation : "il y a des enfants qui ont vécu chez moi et qui maintenant vont à l'école, en France ou en Allemagne. Me condamner, ça voudrait dire qu'ils n'ont pas leur place ici."
Décision vendredi pour un enseignant-chercheur
Deux mois après son procès pour avoir facilité le séjour irrégulier de migrants, un autre habitant des Alpes-Maritimes doit être fixé sur son sort, vendredi. Pierre-Alain Mannoni, 45 ans, n'appartient, lui, à aucune association. Résidant à Nice, cet enseignant-chercheur a convoyé des migrants à deux reprises alors qu'il passait par la vallée de la Roya, pour "montrer l'exemple à sa fille", a-t-il expliqué sur son blog. En octobre 2016, il a été interpellé à un péage, avec dans sa voiture trois Érythréennes.
"Mon geste n'est ni politique ni militant, il est simplement humain et n'importe quel citoyen lambda aurait pu le faire", a-t-il souligné dans une lettre relayée avant l'audience par ses soutiens. Comme Cédric Herrou, il encourt jusqu'à 5 ans de prison et 30.000 euros d'amende.