Il est encore "sous le choc", "écœuré". Le 29 novembre, Stéphan Pélissier a été condamné par la justice grecque à sept ans de prison pour trafic de clandestins. Pourtant, ce juriste originaire d'Albi le martèle à qui veut bien l'entendre depuis plusieurs semaines : il n'est pas un passeur. En août 2015, sa belle-famille, syrienne, est prise au piège dans le chaos de la guerre. Elle entreprend seule la démarche de s'enfuir, en direction de la France. Rien ne va se passer comme prévu.
Le beau-père enlevé et torturé. Retour en 2014. Cela fait déjà trois ans que la guerre ravage la Syrie, et l'Etat islamique lance alors ses premières opérations sanglantes dans la région. Parallèlement, des groupuscules se forment et mènent plusieurs séries d'enlèvement de notables. Le beau-père de Stéphan Pélissier est maire d'arrondissement à Damas, "une fonction administrative, pas politique", précise le juriste. "Le régime de Bachar al-Assad lui demandait des rapports sur la population, qu'il refusait bien souvent de faire. Il a fait l'objet de menaces, jusqu'à être enlevé à son tour." Pendant quatre mois, l'homme subit tortures et simulacres d'exécution. Il est finalement relâché, sans avoir jamais su qui étaient ses ravisseurs. Son épouse et ses filles continuent de recevoir très régulièrement des menaces de viols.
Une demande d'asile déboutée. Là, Stéphan Pélissier et son épouse Mouzayan entreprennent en France les démarches pour une demande d'asile pour les membres de la famille. "On a reçu un mail d'une seule ligne nous informant du rejet de notre requête. Ce n'était même pas motivé", déplore le juriste. Le beau-père, lui, tient coûte que coûte à rester à Damas. Jusqu'à l'été 2015, où une nouvelle menace pèse sur la famille. Le beau-frère de Stéphan Pélissier, alors âgé de 17 ans, pourrait bien être enrôlé dans l'armée.
Un périple de tous les dangers. Le père, la mère, le fils, la fille et un cousin rassemblent alors leurs économies et quittent le pays. "Ils passent par le Liban, puis la Turquie. Là, ils payent les services d'un passeur qui les conduit, après cinq heures de marche en pleine nuit - où la mère se cassera le bras - à une embarcation de fortune", décrit le Français. Une soixantaine de réfugiés montent à bord, selon une estimation du fils. "Au bout d'une heure, l'eau a commencé à s'infiltrer. Le bateau menaçait de couler. Des garde-côtes grecs sont arrivés juste à temps, et ont débarqué les gens sur une île grecque à proximité", raconte Stéphan Pélissier.
Une décision radicale. Au matin, l'Albigeois et son épouse apprennent avec angoisse que les cinq membres de la famille ont bien failli se noyer en mer, et qu'ils envisagent de reprendre un bateau pour rallier la Grèce à l'Italie. Une traversée d'au moins une journée, voire deux. "Pour eux, c'était la mort assurée", estime Stéphan Pélissier. C'est là qu'il prend une décision, aussi radicale que nécessaire, fait-il valoir. "Je me suis dit qu'il fallait que je les ramène moi-même en voiture. Je ne pouvais pas rester sur mon canapé à ne rien faire. À l'époque, on voyait plein d'images de migrants noyés à la télévision. Ma fille d'un an ne pouvait pas perdre ses grands-parents, son oncle, sa tante…", confie-t-il.
Le début des ennuis. "Quand je suis parti en Grèce, je ne pensais pas que ça allait prendre ces proportions", explique Stéphan Pélissier. En effet, alors qu'il vient de retrouver sa belle-famille, il entreprend d'acheter des billets de ferry pour l'Italie. Mais au moment d'embarquer, un contrôle de police vient annihiler leurs espoirs. Tous sont interpellés. Le Français est placé en détention avant d'être libéré sous caution. "300 euros. Et ils ont gardé la voiture", précise-t-il. "On m'a traduit qu'il y aurait une procédure, mais je croyais qu'elle serait uniquement liée à la voiture." La belle-famille, elle, n'est pas inquiétée. Tous peuvent regagner la France.
La filiation, absente du rapport du procureur. Les mois passent. La famille obtient enfin l'asile en France. Puis en septembre dernier, tout bascule à nouveau. "Je reçois un mail de mon avocate qui m'informe qu'un procès aura lieu le 9 novembre." Sidération. Stéphan Pélissier découvre alors que son lien de parenté avec sa belle-famille - qu'il a pourtant prouvé grâce aux livrets de famille que lui avait fourni son épouse - ne figure pas dans le rapport du procureur grec. "Est-ce un oubli ? Une négligence ? Ou une démarche volontaire ? Je penche pour la dernière option", souffle-t-il, amer. "On essaie de passer un message politique fort à travers moi. Selon moi, on veut décourager les réfugiés et leurs familles avec ces décisions abjectes", avance le Français.
Un sentiment d'"abandon". Dans la foulée, Stéphan Pélissier cherche secours auprès des autorités françaises. "On a sollicité l'Etat français il y a plus de deux mois. On n'a reçu qu'un seul mail, le 23 novembre, du bureau du Premier ministre qui nous informait que la garde des Sceaux allait se pencher sur le dossier. C'est tout", s'indigne-t-il. "J'ai pourtant prouvé aux autorités grecques le lien de parenté. Je suis d'autant plus scandalisé que l'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irrégulier n'est pas poursuivie lorsqu'il s'agit de membres de la famille, même lorsque les faits se déroulent hors de France dans un pays européen ou appartenant à Schengen", écrit-il dans une lettre adressée à Emmanuel Macron. Sollicité par Europe1.fr, le ministère des Affaires étrangères n'a pas encore répondu.
Jugé comme un passeur. Mercredi, Stéphan Pélissier ne s'est pas rendu à son procès, en Grèce, mais a préféré se faire représenter par son avocate. "Comment avoir les garanties que les droits essentiels de la défense soient respectés ? Quand on voit comment le procès a été mené, j'ai bien fait de ne pas faire confiance", lâche-t-il. Jugé comme un passeur, il est condamné à sept ans de prison. "Mais le juge a assorti cette peine de la possibilité de la racheter", précise le condamné. En effet, Stéphan Pélissier peut choisir de ne pas purger sa peine de prison, et de payer à la place une amende de 5 euros par jour pendant sept ans.
Une cagnotte en ligne. L'Albigeois a jusqu'au 9 décembre pour dire s'il fait appel de la décision grecque. "Mais est-ce bien la peine de se lancer dans une année, voire deux, de procédures ? La justice est sourde. À aucun moment, elle n'a fait preuve d'humanité", déplore-t-il. Dans l'attente d'un réel soutien des autorités françaises, à qui il demande d'intervenir pour "un arrêt immédiat des poursuites ou, a minima, un transfert de [son] procès en France", Stéphan Pélissier a lancé une pétition sur le site Change.org, ainsi qu'une cagnotte en ligne pour l'aider à payer sa lourde amende. Le sénateur et la députée du Tarn lui ont publiquement apporté leur soutien. Reste cette colère qui lui tenaille le ventre : "On ne fait rien pour les réfugiés, mais on punit ceux qui les aident."