Le procès, particulièrement délicat, doit se tenir à huis clos. Trois ans après la révélation d'une affaire qui avait traumatisé le village de Planaise, en Savoie, l'instituteur Eric Molcrette comparaît devant les assises de Chambéry, à partir de jeudi. Il est accusé d'avoir violé et agressé sexuellement une trentaine de fillettes de sa classe et d'un camp de vacances qu'il animait, entre 2011 et 2013.
Un "jeu du goût". Après des années de silence, l'affaire éclate le 10 avril 2013, quand des parents portent plainte à la gendarmerie de la commune de 500 habitants. Leur fille de 5 ans leur a raconté, la veille, avoir participé à un cours de soutien avec une autre élève de 6 ans. Un "jeu du goût", durant lequel, les yeux bandés, elles devaient reconnaître des goûts en léchant un produit. La fillette dit avoir regardé sous son masque et vu le maître tremper son "zizi" dans du sirop et le mettre dans la bouche de sa camarade.
Eric Molcrette est interpellé le 11 avril, incarcéré le 12. Dans son ordinateur et ses clés USB, les enquêteurs découvrent des dizaines de milliers d'images pédo-pornographiques, privilégiant les petites filles. Retouchées, classées, annotées de manière "compulsive", les photos dessinent les contours d'une véritable "addiction", selon les experts. Elles permettent d'établir que 18 élèves de grande section et de CP à Planaise ont été violées par des fellations imposées et qu'une autre a été agressée.
Mais les investigations révèlent aussi qu'Eric Molcrette dirige un centre de vacances à Mornac-sur-Seudre, en Charente-Maritime, chaque année depuis 2006. En épluchant ses données, les enquêteurs établissent également que 11 fillettes de la colonie de vacances ont été caressées à leur insu pendant leur sommeil, en août 2012.
Le souvenir de Villefontaine. Les parents des victimes, dont certaines n'ont pas conscience d'avoir été violées, attendent ce procès avec "colère" et "angoisse" selon Me Daniel Cataldi, l'un des avocats des parties civiles. En creux, le souvenir de la retentissante affaire de pédophilie de Villefontaine, en Isère, lorsqu'un directeur d'école mis en cause pour des faits similaires s'était suicidé en prison, privant les familles d'un procès. "On peut toujours redouter un geste suicidaire", souligne Me Cataldi.
Une semaine après son incarcération, Eric Molcrette a également tenté de mettre fin à ses jours en s'ouvrant les veines. Mais désormais, "il sait qu'il se doit de faire face aux parents", assure son avocat, Me Olivier Connille, qui décrit un client "rongé de culpabilité" et prêt à présenter des excuses. Pour la défense, il s'agira de tenter "d'expliquer ce passage à l'acte", à presque 50 ans, d'un homme qui s'est fait "manger par internet" alors qu'il traversait un passage à vide professionnel et privé, qui aurait ranimé des blessures de sa propre enfance. L'accusé affirme avoir subi trois agressions sexuelles, notamment par un oncle.
Un ancien ministre présent à l'audience. Une thèse accréditée par l'absence d'antécédents de l'instituteur. Dans l'affaire de Villefontaine, le directeur avait précédemment été condamné, en 2008, pour recel d'images pédo-pornographiques. Le scandale avait poussé à l'adoption d'une loi pour améliorer l'échange d'informations entre la Justice et l'Education nationale. Mais le casier judiciaire d'Eric Molcrette ne porte, lui, aucune trace de condamnation antérieure. Dans son entourage d'instituteur plutôt apprécié et de père de famille, marié, personne n'avait décelé de signe avant-coureur.
"N'aurait-on pas pu éviter cela ?", interroge cependant l'avocat Olivier Baratelli, qui représentera la Fondation pour l'Enfance à l'audience. Pour éclairer les actions de l'Education Nationale dans la lutte contre la pédophilie, l'association a demandé à deux ministres de l'Education, "de sensibilité politique différente", de témoigner au procès, rapporte Le Figaro. Luc Ferry, qui a quitté ses fonctions en 2004, a accepté cette citation et devrait s'exprimer lundi. La venue de Najat Vallaud-Belkacem, ministre en exercice, est en revanche beaucoup plus improbable. Un tel déplacement "engage une procédure lourde, l'adoption d'un décret en conseil des ministres", a indiqué le ministère.