"Je propose qu'il existe un tribunal professionnel qui puisse être saisi et qui ait le pouvoir de sanction symbolique contre les menteurs, les tricheurs, les enfumeurs". Après son passage dans L'Emission politique, jeudi 30 novembre sur France 2, Jean-Luc Mélenchon a posté un long message sur son blog, fustigeant violemment le traitement partial dont il estime avoir été victime de la part des journalistes Léa Salamé, Nathalie Saint-Cricq et François Lenglet. Le leader de La France insoumise propose ainsi de lancer une pétition afin d'appeler à la création d'une instance qui viendrait "juger" les journalistes qui ne respecteraient pas les règles déontologiques propres à leur métier.
L'exemple belge
"Une telle instance, m'a-t-on dit, existe en Belgique. Pourquoi n'existerait-elle pas en France ? Pourquoi serions-nous abandonnés aux manœuvres de gens aussi dépourvus de scrupules que nous venons de le voir avec cette 'Émission politique' ou l'une quelconque des actuelles prestations du 'service public' de l'information ?", interroge Jean-Luc Mélenchon sur son blog. Chez nos voisins belges en effet, une instance indépendante, le Conseil de déontologie journalistique (CDJ), a été créée en 2009 pour permettre à tout un chacun d'alerter sur des pratiques journalistiques jugées contraires à des règles établies.
La quasi-totalité des journalistes et groupes de presse belges ont souscrit à ces règles. Bien plus qu'un simple code moral, celles-ci ont été discutées, définies et amendées par un consortium de professionnels. Divisées en quatre volets et 28 articles, elles imposent d'"informer dans le respect de la vérité", et "de manière indépendante", "d'agir avec loyauté" et de "respecter les droits des personnes".
Lorsqu'un magistrat, un politique, une personnalité civile, repère dans un reportage ou une interview une faute supposée dans le traitement journalistique, il peut saisir directement sa plainte sur le site Internet du CDJ.
Que se passe-t-il une fois la "plainte" déposée ?
La plainte est d'abord examinée par le conseil, composé de 40 membres - 20 titulaires et 20 suppléants - parmi lesquels des représentants de journalistes, d'éditeurs de presse, de rédacteurs en chef, mais également des membres de la société civile au fait des pratiques médiatiques.
Ensuite, le Conseil de déontologie journalistique procède par étapes. La première est celle de la médiation entre la personne ayant saisi l'instance, et le média ou le journaliste mis en cause. Si cette étape aboutit, des excuses peuvent être formulées, ou un rectificatif être publié. Objectif : "une autorégulation efficace", indique l'instance sur son site Internet.
Parfois, aucun accord ne peut être trouvé entre les deux parties. Un dossier est alors instruit par l'instance, qui se charge de recueillir les argumentaires contradictoires, avant d'émettre un avis. Si la faute du journaliste ou du média est reconnue, alors le CDJ peut demander la publication de cet avis sur la une de son site web.
Dans une interview accordée au Huffpost, Muriel Hanot, secrétaire générale du CDJ indique : "En 2016, nous avions publié 39 avis sur 130 plaintes reçues".
Quid des dispositifs existant en France ?
En France, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) peut intervenir sur des cas précis. Parmi ses missions, il veille notamment "au respect de la dignité de la personne humaine dans les médias audiovisuels", "au respect de l'expression pluraliste des courants d'opinion sur les antennes", et "à la rigueur dans le traitement de l'information dans les médias audiovisuels". Or, beaucoup doutent de la légitimité du CSA à réguler la déontologie journaliste, ses membres étant nommés par l'exécutif.
De son côté, le Syndicat National des Journalistes (SNJ) appelle depuis des années à la création d'une instance nationale de déontologie. Pour Dominique Pradalié, secrétaire générale du SNJ, jointe par Europe1.fr, ce dispositif - qui allierait paritairement employeurs, journalistes et société civile - permettrait de montrer que "les journalistes ne sont pas au-dessus des lois et des citoyens." Le SNJ promeut "une instance de réflexion et de pédagogie", dont la mission serait "d'enquêter et d'établir un avis dans les médias concernés". "On pourrait ainsi régler rapidement des cas, sans être obligés de passer par la justice", soutient-elle.
Cette ambition a été plusieurs fois soumise aux professionnels de la presse. En 2014, Marie Sirinelli, première conseillère à la Cour administrative d'appel de Paris, avait remis à Aurélie Filippetti, alors ministre de la Culture et de la Communication un rapport intitulé Autorégulation de l'information : comment incarner la déontologie ?. Celui-ci concluait que les employeurs étaient hostiles à l'instauration de cette instance. Depuis, rideau. "Leur argument ? 'Charbonnier reste maître chez lui'", avance la secrétaire générale du SNJ. En clair, les problèmes éventuels peuvent être réglés en interne sans en faire part au grand public. Selon elle, la seule manière de contraindre les employeurs à rejoindre le mouvement serait d'y conditionner les aides à la presse. "C'est ce qui a été fait en Belgique, et ça a marché", précise Dominique Pradalié.
Par ailleurs, les médias sont dotés en leur sein de sociétés de rédacteurs (SDR), composées de journalistes, et chargés d'alerter, après publication ou diffusion, à l'indépendance et au respect de la déontologie. Mais tous les sujets évoqués dans ces instances internes n'ont pas vocation à être connus du grand public. Autre piste avancée par le SNJ : la généralisation des médiateurs, chargés de recueillir les plaintes des lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs, et d'y répondre.
Rappelons que les journalistes, bien que protégés par le droit de la presse, sont des justiciables comme les autres, et peuvent répondre, par exemple, d'une accusation en diffamation devant un tribunal.