Il est l'un des nombreux policiers qui ont craqué. Alors que plusieurs milliers de gardiens de la paix, officiers et commissaires s’apprêtent à manifester mercredi à Paris pour dénoncer le malaise ambiant dans la profession, Jérémy (son prénom a été modifié), policier depuis 20 ans en Île-de-France, témoigne sur Europe 1 de sa "descente aux enfer". Depuis le début de l'année, cinquante policiers se sont suicidés, et les arrêts maladie pour burn-out s'accumulent.
"Une longue descente aux enfers"
Le burn out, explique-t-il, "c'est comme le loto, on pense que ça n'arrive qu'aux autres". "On se sent fort, costaud, et puis au bout d'un moment la carapace se fissure." Pour lui, la carapace a commencé à craquer après une promesse non tenue de sa hiérarchie. "Je me suis senti très rabaissé." Jérémy tente d'en parler avec ses supérieurs. Sans succès. "La hiérarchie a continué à enfoncer le couteau dans la plaie, en faisant me des reproches de plus en plus nombreux sur des choses qui n'étaient pas forcément fondées", se souvient-il. "Après c'est une longue descente aux enfers."
"Je dormais deux heures par nuit"
Jérémy remet sa carrière en question, s'interroge jour et nuit. "J'ai perdu le sommeil, je dormais deux heures par nuit. J'ai sombré en deux-trois mois", retrace-il. Le policier évoque aussi la difficulté de faire face au problème, de reconnaître son mal-être. "Ce qui m'a ouvert les yeux, c'est de parler à des collègues qui ont aussi vécu ça. Ils m'ont dit de consulter au plus vite, qu'après on pouvait avoir des tendances suicidaires. Et parfois passer à l'acte, comme l'on fait une cinquantaine de nos collègues."
Il se rappelle avec précision son humeur, son état psychologique pendant trois mois. "On a plus envie de rien, on a plus envie de jouer avec ses enfants. On a l'impression d'être bon a rien, on est fatigué constamment." A l'époque, il ne voyait que deux solutions. "Soit sombrer dans l'alcool, soit essayer de m'en sortir avec une psychothérapie."
"Vous n'êtes qu'un numéro"
Jérémy se tourne alors vers un spécialiste. Une démarche qui n'a pas non plus été facile. "C'est pas dans mon état d’esprit d'aller demander de l'aide, mais il fallu me faire violence. Je n'avais pas le choix", raconte-il. Dans son malheur, Jérémy a eu la chance d'être entouré de ses proches. Un soutien précieux, reconnait Jérémy, dont tout-le-monde ne bénéficie pas.
Après plusieurs mois d'arrêt, Jérémy est retourné au travail. "Pendant trois mois, vous n'êtes pas là, mais comme vous n'êtes qu'un numéro finalement personne ne s’inquiète." Pour sortir du climat délétère qui plane en ce moment sur les commissariat, Jérémy estime qu'il faut en appeler à la hiérarchie, "lui faire comprendre que quand un effectif va mal, au lie de lui enfoncer la tête dans l'eau, on essaye de le sortir". Il regrette que les plus hauts gradés n'aient pas le réflexe de parler avec leurs équipe, pour détecter en amont les angoisses susceptibles de dégénérer et orienter les policiers concernés vers un spécialiste. "Il faut en discuter avant qu'il ne soit trop tard."