Violences à l'école : "Les élèves ont intégré l'idée qu'on ne peut rien faire contre eux", estime Luc Ferry

Luc Ferry, Europe 1, 1280
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Grégoire Duhourcau , modifié à
L'ancien ministre de l'Education nationale a longuement évoqué les questions d'actualité sur l'école, qu'il s'agisse de la sécurité ou de l'emploi, au micro d'Audrey Crespo-Mara sur Europe 1, jeudi. 
INTERVIEW

Non, les chefs d'établissements scolaires ne minimisent pas les violences à l'école. Penser le contraire serait "complètement absurde", a estimé l'ancien ministre de l'Education nationale (2002-2004) Luc Ferry, au micro d'Audrey Crespo-Mara sur Europe 1. La vérité est que "les chefs d'établissement ne peuvent rien faire" tout simplement parce que "l'école est obligatoire jusqu'à 16 ans". "Par conséquent, les élèves ont intégré l'idée que l'on ne peut rien faire contre eux." 

"Vous qui avez été ministre de l'Education nationale, saviez-vous que les directeurs d'établissements scolaires minimisaient les violences à l'école et ne soutenaient pas réellement les professeurs qui en étaient victimes ?"

Ça, c'est complètement absurde. Les chefs d'établissements ne peuvent rien faire, ou très peu de choses. Ce n'est pas parce que ce sont des lâches et qu'ils abandonnent leurs professeurs. Ils ne peuvent rien faire pour une raison que les gens devraient enfin comprendre, c'est que l'école est obligatoire jusqu'à 16 ans. Par conséquent, les élèves ont intégré l'idée que l'on ne peut rien faire contre eux. Quand vous dites à un gamin, qui braque un professeur avec un pistolet, fut-il à billes, 't'es viré trois jours', il dit : 'Merci monsieur, mais vous ne pourriez pas m'en mettre quinze parce que ça m'arrangerait ?' Pour lui, ce n'est pas une punition, c'est une bénédiction. Le proviseur ne peut strictement rien faire, sauf évidemment, quand il y a un meurtre ou un viol.

Après le mouvement #pasdevague, Jean-Michel Blanquer a annoncé les premières mesures pour lutter contre les violences à l'école, notamment la création d'un registre de plaintes pour faire remonter systématiquement tous les incidents. Que va-t-on faire des plaintes ?

Ça existe déjà, c'est ce que Claude Allègre (ministre de l'Education nationale entre 1997 et 2000, ndlr) avait créé. [Avec ces plaintes], on fait ce qu'on peut. Dans l'état actuel des choses, pas grand chose. Le problème, ce n'est pas de multiplier les sanctions qui ne servent absolument à rien, c'est d'éviter qu'on en arrive là. Si vous voulez éviter qu'on en arrive là, le seul moyen, c'est de faire en sorte que nos enfants réussissent quelque chose. Quand ils ratent tout à partir de la classe de cours préparatoire, ils deviennent violents. Pour faire en sorte qu'ils réussissent quelque chose, il faut, non seulement les dédoublements de cours préparatoires qui permettent d'apprendre à lire et à écrire et deuxièmement, une refonte complète de la voie professionnelle. Et pas seulement des classes en alternance avec la voie professionnelle, mais aussi la création dans la voie professionnelle, d'écoles d'excellence pour que les mômes comprennent que, quand ils vont dans la voie professionnelle, on ne se moque pas d'eux.

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Qu'en est-il de la volonté de Jean-Michel Blanquer de simplifier la procédure pour les conseils de discipline ?

Ça va sûrement bouleverser le gamin qui braque un professeur. Le fait que le conseil de discipline soit avancé de trois jours, ça va tout changer ! Non, c'est une blague. Qu'il le fasse, c'est très bien mais ça ne changera strictement rien. Encore une fois, il faut éviter qu'on en arrive là.

Quand Christophe Castaner propose de créer des permanences de police ou de gendarmerie dans les établissements, coup de communication ou coup de menton ?

Les deux, c'est une blague ! On va importer dans les établissements scolaires les problèmes des banlieues. Ça n'a aucun sens ! Le malheureux flic que l'on mettra dans le collège, il aura exactement les mêmes difficultés que les professeurs, le conseiller pédagogique ou le chef d'établissement. Ça ne changera strictement rien.

L'Education nationale a de plus en plus de mal à recruter des enseignants. On fait donc appel à des contractuels qui n'ont pas forcément les qualifications requises. Le journal Libération parle du cas d'une caissière de supermarché, dont les études de biologie remontraient à une vingtaine d'années, parachutée remplaçante en SVT dans une classe de 1ère S. Est-ce qu'on se dirige vers une enseignement au rabais ?

Ce n'est pas du tout le problème. Le problème c'est que l'on a un certain absentéisme. [Les contractuels] ont les qualifications. Mais il faut savoir que dans la fonction publique aujourd'hui, on a 20% de contractuels, soit pratiquement un million de contractuels. C'est inévitable, on a besoin de cette souplesse. On ne peut pas faire autrement, on n'a jamais fait autrement. Ça ne s'aggrave pas par rapport aux périodes précédentes. On a aussi des titulaires qui sont remplaçants, ceux que l'on appelle les TZR, les titulaires sur zone. Ce sont de jeunes agrégés ou de jeunes certifiés qui font le travail de remplacement. Tout ça n'est pas idéal mais on ne peut évidemment pas faire autrement. Quand il y a des professeurs qui sont absents, il faut bien les remplacer et le meilleur moyen de les remplacer, c'est de le faire avec des contractuels plutôt qu'avec des titulaires.

Alors que 1.800 postes vont être supprimés dans l'enseignement en 2019, est-ce une façon de s'adapter aux besoins de remplacements, ou aux besoins budgétaires, les contractuels coûtant moins cher que les titulaires ?

Evidemment, c'est le but de l'opération. La loi qui s'annonce sur la réforme de la fonction publique va multiplier encore le nombre de contractuels, ce qui n'est pas une bonne chose. Moi, je serais très favorable à ce qu'il y ait des CDI partout dans la fonction publique. A la limite, que l'on aligne la fonction publique sur le privé, ça ne me gênerait pas, du moment que ce ne sont pas des CDD mais des CDI.

Les contractuels sont davantage envoyés dans des quartiers défavorisés. En Ile-de-France, il y en a trois fois plus dans les quartiers défavorisés (18% contre 5% dans les quartiers aisés).

C'est parce que les titulaires, au bout d'un certain temps, gagnent des points. Donc ils essaient de quitter les quartiers difficiles pour se retrouver dans les centres-villes. Là aussi, c'est inévitable. On ne peut pas faire autrement dans un système où il y a 840.000 professeurs et 13 millions d'élèves.

Ce recours aux contractuels n'entre-t-il pas en contradiction avec les déclarations d'Emmanuel Macron qui affirme que l'école est une priorité pour lui ?

Non, les contractuels ne sont pas forcément mauvais. Un maître auxiliaire qui a une maîtrise de philosophie, une maîtrise de mathématiques ou de SVT n'est pas forcément un mauvais professeur. Il a forcément, en moyenne, un moins bon niveau de connaissance qu'un agrégé mais ce n'est pas forcément un professeur nul, ce n'est pas vrai."