Violences conjugales : "si l'un des intervenants n'est pas formé, tout s'écroule", prévient l'avocate Isabelle Steyer

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Mathilde Durand
Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a annoncé dimanche des mesures pour lutter contre les violences conjugales. Les associations dénoncent un effet de communication, faute de moyens. Sur Europe 1, Isabelle Steyer, avocate spécialiste des femmes victimes de violences, plaide elle pour la création d'une juridiction spécialisée. 
INTERVIEW

En 2020, 102 femmes ont perdu la vie, tuées par leur compagnon ou ex-compagnon. Dimanche, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a annoncé une série de mesures pour lutter contre ce fléau, notamment le traitement prioritaire des plaintes pour violences conjugales ou encore la désignation d'un officier spécialisé dans ces violences dans chaque commissariat et chaque brigade de gendarmerie. Isabelle Steyer, avocate spécialiste des femmes victimes de violences, salue une "orientation très positive", mais plaide pour des mesures qui vont encore plus loin.

"Jusqu'à présent, finalement, les violences intrafamiliales étaient traitées en dernier, après les cambriolages, les effractions, les trafics de stupéfiants et les trafics de rue", assure-t-elle. "On laissait les policiers traiter les affaires en fonction des urgences ou des personnes qui se présentent au commissariat sans hiérarchie."  

"J'espère que toutes les violences intrafamiliales vont se poursuivre par une plainte et que cette dernière va être traitée en bonne et due forme : que la femme va être entendue par du personnel qui sera formé, qui aura une grille de lecture renfermant le danger qu'elle subit, qui pourra éventuellement faire des liens entre les précédentes mains courantes ou les précédentes plaintes, et dresser un historique des violences conjugales", poursuit l'avocate.   

Des mesures de "communication" ? 

Le ministre de l'Intérieur a annoncé la proscription des mains courantes de manière "définitive" mais aussi le recrutement d'officiers de police judiciaire, de 17.000 à 22.000 individus. "Je pense qu'il faut au moins une augmentation de 25%, comme cela a été dit, du nombre de policiers affectés au traitement de ces violences", ajoute Isabelle Steyer. "Il faudrait certainement un nombre plus important de policiers, dans la mesure où ce sont des dossiers qui sont extrêmement délicats à traiter : il faut d'abord intervenir, en flagrant délit, dans des conditions extrêmement difficiles où toute la vie des intervenants est en jeu."

Lundi, des associations féministes ont réclamé un budget clair et davantage de moyens pour lutter plus efficacement contre les violences faites aux femmes après les nouvelles mesures annoncées, déplorant un effet de communication ou "une impression de recyclage". "Le ministre de l'Intérieur annonce à grand renfort de communication des mesures qui existent déjà" mais qui ne sont pas appliquées à cause du manque de moyens financiers, a fustigé Caroline De Haas, pour le collectif #NousToutes. Et sans moyen, il ne peut y avoir de changement majeur, a-t-elle regretté.

Vers une juridiction spécialisée ? 

Pour améliorer la réponse judiciaire, l'avocate Isabelle Steyer se dit favorable à la création d'une juridiction spécialisée, tel un procureur de la République dédié aux violences intrafamiliales. "On voit très bien que dans ces dossiers-là, si l'un des intervenants n'est pas formé et ne connaît pas la problématique, tout s'écroule. On aura beau rajouter des policiers formés, si au bout de la chaîne on a, par exemple, un magistrat qui ne connaît pas la question des violences conjugales, il n'aura pas une bonne appréciation de la dangerosité et de la mesure de protection à prendre", assure-t-elle pointant l'importance de casser la dynamique de l'agresseur et de donner du crédit aux propos des victimes, en lui assurant une écoute et une protection immédiate.

Selon le bilan des féminicides, dévoilée par Le Parisien et communiquée par le ministère de l'Intérieur, 35% des meurtres sont survenus alors que les victimes avaient déjà subi des violences, qu'elles soient physiques, psychologiques et/ou sexuelles. Environ 75% de ces femmes avaient déposé une plainte pour signaler les faits aux forces de l'ordre, soit environ 18% du total des victimes. "Et on ne compte pas celles qui sont allées voir un avocat, un psychologue, qui en ont parlé à un médecin généraliste ou à l'institution judiciaire exclusivement", déplore Isabelle Steyer. "Le chiffre des femmes qui ont parlé auprès d'un tiers est beaucoup plus important". "Il faut impérativement une réponse en temps réel", assure l'avocate, citant les défaillances dans le dossier de Chahinez, mère de famille brûlée vive par son ex-compagnon à Mérignac, malgré ces nombreux signalements.

Elle dénonce aussi l'utilisation trop faible des téléphones grand danger ou des bracelets anti-rapprochement. "Dans aucune de mes situations et je gère des situations extrêmement graves, le téléphone grand danger ou bracelet anti-rapprochement ne sont proposés d'emblée aux victimes", assure-t-elle. "On a l'impression que le système policier et judiciaire n'arrive pas à s'approprier des outils qui sont pourtant maintenant dans le droit positif et qui existe", conclut-elle.